Hérodote nous apprend que Crésus a été instruit par Solon sur la question du bonheur. Dans les premières lignes du chapitre XIX du Livre I des Essais, intitulé fort clairement Qu’il ne faut juger de nostre heur qu’après la mort , Montaigne rapporte ainsi l’histoire:
« Les enfants sçavent le conte du Roy Croesus à ce propos ; lequel, ayant esté pris par Cyrus et condamné à la mort, sur le point de l’exécution, il s’escria : « O Solon, Solon ! »
Cela rapporté à Cyrus, et s’estant enquis que c’estoit à dire, il luy fit entendre qu’il verifioit lors à ses despens l’advertissement qu’autrefois luy avait donné Solon, que les hommes, quelque beau visage que fortune leur face, ne se peuvent appeler heureux, jusqu’à ce qu’on leur aye veu passer le dernier jour de leur vie, pour l’incertitude et variété des choses humaines, qui d’un bien léger mouvement se changent d’un estat en autre, tout divers. » (éd. de la Pléiade, p.77)
Aristote discute très précisément la position de Solon dans l'Ethique à Nicomaque. Il rejette d’abord l’interprétation qui consisterait à soutenir que l’homme mort est heureux :
« N’est-ce pas là une chose complètement absurde, surtout de notre part à nous qui prétendons que le bonheur consiste dans une certaine activité ? » (I, 11, 1100 a 10, trad. de Jean Tricot)
Il préfère donc la comprendre ainsi : « C’est seulement au moment de la mort qu’on peut d’une manière assurée qualifier un homme d’heureux, comme étant désormais hors de portée des maux et des revers de fortune. »
Tout va bien qui finit bien.
Au fait ce n'est pas si marrant que ça. On pourrait construire un pont de bonheur négatif de la tragédie mesuré par le choeur antique jusqu'au fait divers qui fait le bonheur dans les quotidiens, puis bâtir par l'oposition à ces malheurs une galérie des happy-ends des vies exemplaires pour arriver, sur le lit asseptisée de soins paliatifs, à une conclusion que le bonheur est une vertu, obligatire, ce qui nous rends particuliérement malheureux ... Ou bien c'est plutôt hilarant?
L'antithése