Bonjour,

Alors je dois résumer un texte en 230 mots mais qui est assez compliqué déjà a comprendre, j'ai vraiment du mal a comprendre la fin du texte, pouvez-vous m'éclairé . merci
je vous met le texte en intégralité :


La construction du sens a pour objectif de comprendre le passé ; et vouloir comprendre — le passé
comme le présent — est le propre de l'homme. En quoi peut-on affirmer qu'il s'agit là d'une caractéristique de
l'espèce ? En ceci que l'homme, à la différence des autres animaux, dispose d'une conscience de soi ; cela
veut dire qu'il est constitutivement double, car il subsiste toujours une part de lui qui réfléchit au reste et
échappe par là à la réflexion. Ce trait, responsable de sa capacité d'agir librement, est aussi la raison de sa
vocation interprétative. Les hommes accomplissent d'autant plus leur humanité qu'ils renforcent cette activité
de la conscience et tentent de comprendre le monde entier — et, par conséquent, de se comprendre euxmêmes.
On pourrait se demander si, quand l'objet à connaître est formé par des maux aussi extrêmes que
ceux du XXe siècle, l'attitude de compréhension reste toujours recommandable. Ne risque-t-on pas de
banaliser le mal en essayant de le comprendre ? Un témoin aussi scrupuleux que Primo Levi a pu écrire à
propos d'Auschwitz : « Peut-être que ce qui s'est passé ne doit pas être compris, dans la mesure où
comprendre, c'est presque justifier. » Provenant d'un auteur d'une telle probité, la mise en garde mérite
réflexion. Il faudrait toutefois se rappeler d'abord qu'elle n'a pas empêché Levi lui-même de passer la grande
partie de son existence à essayer de comprendre, de tirer toutes les leçons de son expérience
concentrationnaire. À d'autres moments, il le dit avec force : « Pour un homme laïque comme moi,
l'essentiel, c'est de comprendre et de faire comprendre. De chercher, précisément, à démythifier cette
représentation manichéenne du monde en blanc et noir. » D'un autre côté, on peut se demander à qui
s'adresse avant tout cette mise en garde. On peut la trouver parfaitement justifiée si son destinataire est Levi
lui-même ou les autres survivants des camps : ce n'est pas aux anciennes victimes de chercher à comprendre
leurs assassins, pas plus qu'aux femmes violées de se pencher sur la psychologie de leurs violeurs. La
compréhension implique dans ce cas une identification, serait-elle partielle et provisoire, avec le bourreau, et
cela peut entraîner une destruction de soi.
Pour nous, qui ne sommes pas d'anciennes victimes, la question reste posée : pouvons-nous faire
l'économie d'une tentative pour comprendre le mal même le plus extrême ? On peut aussi mettre en question
la relation automatique que semble établir Levi : « comprendre c'est presque justifier ». Toute la conception
moderne de la justice criminelle repose sur un postulat différent. L'assassin, le tortionnaire, le violeur, doit
payer pour son crime. Pourtant, la société ne se contente pas de le punir, elle s'efforce aussi de découvrir
pourquoi le crime a été commis, et d'agir sur ses causes pour prévenir d'autres crimes semblables. Ce n'est
pas qu'elle y arrive facilement ; mais elle se donne au moins cette tâche. Si c'est la pauvreté qui a contribué à
amener l'individu au crime, elle tente de combattre la pauvreté ; si c'est la détresse affective pendant
l'enfance, elle essaie de s'occuper mieux des enfants abandonnés ou battus. Pour autant, la justice moderne
n'élimine jamais l'idée de liberté humaine et donc, sauf chez les malades mentaux, de responsabilité de
l'individu : en elle-même, une cause ne conduit jamais automatiquement à une conséquence (l'homme peut
toujours, disait Rousseau, « acquiescer ou résister ») ; c'est pourquoi comprendre le mal ne signifie pas le
justifier, mais plutôt se donner les moyens pour en empêcher le retour.
Une difficulté surgit devant celui qui doit à la fois comprendre et juger. Car juger, c'est tracer une
séparation entre le sujet qui juge et l'objet jugé, alors que comprendre, c'est reconnaître notre appartenance
commune à la même humanité. Les deux actes ne se situent pas sur le même plan : on cherche à comprendre
les êtres humains, susceptibles d'une multitude d'actions, alors qu'on juge les actions effectivement
commises, à un moment, dans un milieu. Que nous soyons tous faits de la même pâte ne signifie pas que l'on
doive ignorer l'abîme qui sépare le possible du réel : nous sommes sans doute tous égoïstes, mais nous ne
devenons pas tous racistes et, parmi les racistes, seuls les nazis, en Europe, sont allés à cette extrémité qu'est
l'extermination raciale. Les hommes sont tous potentiellement capables du même mal, mais ils ne le sont pas
effectivement, car ils n'ont pas eu les mêmes expériences : leur capacité d'amour, de compassion, de
jugement moral a été cultivée et s'est épanouie, ou au contraire a été étouffée et a disparu.
Telle est la différence entre Pola Lifszyc, une jeune fille habitant le ghetto de Varsovie, qui monte de
son plein gré dans le train de Treblinka pour pouvoir y accompagner sa mère, et Franz Stangl, qui préside
aux activités de ce camp d'extermination et cherche à concentrer son attention sur les moyens de son action
comme à en refouler les buts. Certains êtres humains peuvent tuer et torturer, d'autres non ; pour cette raison,
on évitera de parler de la « banalité du mal », comme le fait Hannah Arendt dans ses réflexions sur le procès
Eichmann : non seulement le mal accompli par Eichmann ou Stangl n'est pas banal, mais ces personnes mêmes, au moment où elles participent à la mise à mort de milliers d'autres, ne sont plus du tout banales. La
différence existe donc, elle est même décisive, et c'est ce qui justifie le travail d'éducation et d'action
publique auquel Levi est resté attaché au long de sa vie. Les hommes ont beau être semblables, les
événements sont uniques ; or l'Histoire est faite d'événements, et ce sont eux que nous devons méditer et
juger.
Mais s'en tenir au seul plan de la responsabilité légale et morale n'est pas non plus suffisant ; il faut
aussi reconnaître notre appartenance à la même humanité et s'interroger sur ses conséquences. Dans cette
nouvelle perspective, même si nous ne perdons pas entièrement notre autonomie de sujets, nous pouvons
reconnaître qu'il n'y a plus de rupture entre soi et autrui (parce que les autres sont en nous et que nous vivons
à travers eux) ni entre le mal extrême des camps ou des génocides et le mal quotidien qui nous est familier à
tous. Nous avons bien besoin de cette double vision, et nous savons tous nous faire tour à tour justiciers des
individus et avocats du genre humain.
Que doit-on chercher à comprendre, au juste, lors d'un surgissement du mal aussi extrême que celui
du XXe siècle ? Ce sont les processus — politiques, sociaux, psychiques — qui y conduisent. Dans la
mesure même où les victimes ont vu leur volonté aliénée, elles n'appellent pas un tel travail de
compréhension. Une femme violée doit être plainte, réconfortée, protégée, aimée ; qu'y a-t-il à comprendre
dans son comportement quand elle n'a fait que subir de la violence ? Il en va de même d'une population
entière : il n'y a rien à « comprendre », en ce sens du mot, à la souffrance des paysans ukrainiens condamnés
à la famine, ou des enfants et vieillards juifs jetés dans les chambres à gaz ; la compréhension s'efface ici au
profit de la compassion. Mais il n'en va pas de même lorsqu'on veut résister au mal. Mieux vaut, alors, ne pas
éluder les questions proprement politiques, « en substituant le spectacle du malheur à la réflexion sur le mal
», selon la formule de Rony Brauman. Ce qu'il y a lieu de comprendre, c'est, bien plus que l'action subie,
l'action assumée : celle des malfaiteurs, mais aussi celle des individus qui ont su les combattre, résistants ou
sauveteurs de vies humaines.
Tzvetan TODOROV



Ciret Alexandre.