Posté par
Garrisonsdicks
Je pense que l'un des plus importants participants à cette classification, qui distingue les sciences de la nature et les sciences de l'homme, est aussi celui qui a tenté de décrire la nature humaine en philosophie morale (comprenez en théorie de la connaissance, en métaphysique et en morale) avec les méhodes employées par Newton en "philosophie naturelle".
Ce philosophe, c'est David Hume, qui, à la suite de John Locke qui avait introduit l'idée d'une "physique expérimentale de l'âme" (cf D'Alembert, préface à l'encyclopédie), a fondé une science de l'homme en tant qu'homme sur l'observation des conditions de connaissance et des opérations de l'entendement. Lire le Traité de la nature humaine, c'est édifiant.
Je pense que l'on pourrait établir une classification des "genres" des sciences sur le rapport entre leur méthodologie et leurs objets d'étude:
-Les sciences formelles: mathématiques, algèbre, géométrie, logique des propositions, dialogique, etc... Objet conceptuel, abstraction du contenu pour se focaliser sur la forme (le mathématicien se fiche d'avoir affaire à trois pommes ou à racine de 36 sardines).
-Les sciences empiriques: physique, biologie, sociologie, histoire, chimie, etc. Elles entretiennent un lien étroit avec l'expérience sensible, elles veulent décrire des phénomènes qui sont supposés ne pas être une création abstraite, mais qui sont sensés préexister à leur description à l'extérieur de l'esprit de celui qui les décrit. Il ne s'agit plus de calculs sur des objets purement conceptuels et sur leurs propriétés. Il s'agit de l'établissement de lois formelles sur l'observation des relations qui existent dans une certaine objectivité matérielle.
A l'intérieur des sciences empiriques, il y a un mur arbitraire entre les sciences de la nature (physique, chimie, géologie, etc.) et les sciences de l'homme en tant qu'homme (psycho, antropologie, histoire, etc.)
Je ne suis pas sûr que l'on puisse réellement penser une unité entre ces différentes sciences, parce que leur objet n'est pas le même, leur méthode n'est pas la même, etc. On peut, à la limite, voir quelles influences les unes ont sur les autres. Par exemple, en histoire des sciences, on peut rattacher certaines découvertes scientifiques à un contexte religieux, politique, technique, etc.
Et même à l'intérieur de ces différentes méthodes propres à chaque domaine scientifique, il y a des dissensions qui empêchent peut-être cette unité scientifique. Par exemple, Einstein, dont le rêve était de trouver LE modèle théorique, l'équation ultime qui fonderait tous les modèles descritifs des lois de l'univers (et non pas qui résumerait l'univers, comme le dit si mal Douglas), a refusé catégoriquement l'achèvement de la physique quantique, parce qu'elle contredisait à l'échelle de l'infiniment petit par l'introduction de la probabilité et des mondes possibles tout ce qu'Einstein expliquait avec certitude et qui concernait l'infiniment grand. Il disait contre Bohr que "Dieu ne joue pas aux dés".
Enfin bref, voilà pour l'idée de la difficile unité des sciences.
Pour ce qui est des sciences humaines, je ne pense pas que la science la plus "rapprochée", comme tu dis, de l'homme, soit la psychologie. Il s'agit d'un domaine particulier comprenant beaucoup de méthodes de description de la cognition et des comportements individuels et sociaux, tout comme la théorie de la connaissance, l'antropologie, la cybernétique. La démarche qui est la plus proche est-elle celle qui fait le plus de détail, ou celle qui a le plus large champ d'étude, ou celle qui semble la plus rationnelle? Je ne sais pas. C'est une question épistémologique un peu étrange.
Je dirais d'une certaine manière que les modèles cybenétiques sont les plus prometteurs. Ils évitent de tomber dans l'analyse symbolique et l'interprétation de sens (au contraire de certaines branches de la psychologie), et leur injonction béhavioriste permet de décrire de manière purement formelle le fonctionnement de l'homme sous forme de systèmes, dans toutes ses dimensions (cognitive, sociale, historique, économique, etc...). Elle évite aussi du même coup les dangers de solipsisme auxquels sont constamment confrontées les théories ontologiques et gnoséologiques (pense à Descartes, Kant, Hume, Husserl, Lévinas, etc).
Pour en savoir plus là-dessus, je conseille à tout le monde de lire le recueil Sciences congnitives, textes fondateurs par Aline Pellicier et Alain Tête, et qui réunit les textes majeurs des pères de la cybernétique (Von Neumann, Turing, McCulloh, Wiener, etc.)
Je ne dis pas que ces auteurs ont plus raison que Husserl ou Merleau Ponty. Je dis juste que leur approche déplace les paradigmes de la science de l'homme pour en faire une science formelle au même titre que les mathématiques ou la logique. Et c'est plutôt intéressant.
Enfin pour ce qui est de l'idée d'un concept philosophique qui contiendrait tous les autres, je pense que tous les philosophes ont essayé, et ont, à leur manière, apporté un concept, un système, ou un modèle philosophique qui tende vers l'explication universelle de ce qui est. Pour Descartes, Berkeley, Newton, Leibniz, Spinoza, c'est "Dieu" (bien sûr, la nature de Dieu n'est pas la même en fonction de l'auteur, mais on peut en retenir pour chacun d'entre eux que Dieu est la condition substantielle nécessaire et suffisante de l'existance. Il est, comme la gravitation chez Einstein ou les causes et les topiques chez Aristote, le substrat et le support de tout ce qui est). Chez Locke c'est l'idée. Chez Hume c'est la fiction. Chez Kant c'est l'ego. Chez Husserl c'est l'ego transcendantal. Chez Leibniz c'est la monade. Chez BHL c'est le champagne. Etc.
Comme dirait Desproges, "à mon avis, qui est l'avis auquel je me réfère le plus quand je veux savoir ce que je pense", refuser de prendre en compte l'existence de ces auteurs, c'est comme refuser pour un bébé d'apprendre à parler. Sans parler, pour exprimer ce que l'on pense et même peut-être pour penser, on ne va pas bien loin. N'est-ce pas Douglas? Douglas dont le légendaire refus d'apprendre à parler fait qu'il na rien à dire. Enfin bon, moi je dis ça, je dis rien.