Bonjour Shodown ,
Tout d'abord merci et félicitations pour cet exposé synthétique des enjeux de la philosophie critique de Kant. Cela est très clair et ouvre sur des questions tout à fait pertinentes.
Et c'est pour tenter d'interroger plus avant les implications et les présupposées de la philosophique kantienne, que je souhaite prendre la parole.
Tout d'abord je me demande si finalement Hegel, dans la critique qu'il fait de la doctrine kantienne de l'absolu, n'atteint pas lui-même à une propre et véritable conception de l'absolue, conception qui ne peut-être qu'autoconception, autoconception de l'absolu lui-même.
Le sens même du concept d'absolu en son extension comme en sa compréhension est proprement l'Universel. Cet universel ne peut, pour des raisons logiques, se voir opposer une quelconque altérité qui remettrait par là même en cause cette universalité (Cf. Parménide, Platon, 2e partie). Si l'Un est, il est tout, sans quoi il n'y aura pas un mais deux, l'Un et les autres étants. (D'ailleurs même si il est, il est autre que lui-même et pour cette raison n'est pas mais passons...)
Donc l'Un, ou l'Universel, ou l'Absolu, ou Dieu même, l'infini en tout cas est et doit être Tout. C'est le fameux en kai pan dont Spinoza a parfaitement démontré la consistante logique (et du coup ontologique, si l'on tient pour exacte la sentence de Parménide dans le fragment 7 de son poème: "le même est à la fois être et penser").
Par conséquence, le sujet fini qui conçoit l'infini ne peut être extérieur à cet infini lui-même. Sans quoi le fini limiterait l'infini. Ce qui serait absurde. L'infini, pour être tel, ne peut pas se voir opposer une substance finie qui lui soit étrangère. C'est ce que la religion chrétienne est parvenue à penser, sans pour autant le concevoir rationnellement, dans la mesure où Dieu, le créateur, ne demeure plus à l'extérieur de sa création, comme ce pouvait être le cas encore dans la religion judaïque. Par l'intermédiaire du Fils, l'Un, l'universel se connait comme fini, et assume le passage dans le particulier et le retour à soi dans l'étrangement de lui-même. (Cf. Jacob Boehme). Ainsi l'absolu, l'infini accomplit la réconciliation d'avec le fini, tout comme le fini s'élève à lui.
Selon Hegel, le point aveugle de la critique kantienne, c'est de poser l'infini comme chose en soi inconnaissable, inaccessible à l'effort de l'entendement, la raison pouvant seule penser, mais non déterminer, l'infini.
Selon Kant, le sujet fini qui essaye de penser l'infini tombe dans des contradictions dialectiques. Ce sujet ne conçoit pas que son jugement, la possibilité d'énoncer une proposition synthétique, dont le but est d'accroitre la connaissance du phénomène, ne peut justement se fonder que sur la finitude de la connaissance qui est la condition de la représentation de l'objet, et donc par là même du sujet. La possibilité pour que le sujet se tienne devant une réalité à connaître est d'emblée déterminée par la position d'extériorité spatio-temporelle de l'objet que ce sujet tend à appréhender. Mais cette extériorité de l'objet n'est possible qu'à la condition que quelque chose comme un sujet fini vienne à se tenir en position duelle par rapport à cet objet.
Mais ce que ne conçoit pas Kant, c'est que poser quelque chose comme l'absolu (comme chose en soi inconnaissable) c'est mettre en oeuvre l'absolu lui-même.
En outre, si l'absolu se réalise en Tout, alors il se réalise nécessairement aussi dans la pensée. C'est ce qui fait dire à Hegel que du point de vue spéculatif, la pensée est éminemment concrète car elle est la condition pour que se devant nous (Gegestand) qu'elle chose comme une nature extérieure.
Mais le discours qui prend proprement pour objet le Réel lui-même, ou l'absolue, ou Dieu, la métaphysique donc, est la plus proche de saisir la nature de l'absolue en tant que développement et totalité universelle (Cf. Livre III, Somme théologique St Thomas D'Aquin). Si ce n'est qu'elle le pense toujours en terme d'objectalité extérieure (façon Démocrite) ou idéale (façon Berkeley ou Malebranche). Et Kant n'échappe pas au reproche au moment même où il arrive à penser le sujet comme condition de l'objet et objet condition du sujet.
Il lui échappe alors que la possibilité d'un rapport du fini à l'infini et la réalité infinie elle-même.
L'Absolu véritable, le Réel, contient aussi bien l'objet X de la représentation, la totalité des conditions correspondant à l'Inconditionné lui-même et donc l'Absolu, que la conscience finie qui tente de penser l'absolument réel (et non pas réalité qui n'a de sens que pour la conscience. La réalité est justement le résultat de la division du Réel opéré par la conscience lorsque cette dernière se pose comme différente de l'objet).
Le défaut de la conscience est alors de croire lorsqu'elle considère cet absolu qu'il s'agit d'une substance séparée d'elle-même. A ce moment là la conscience s'oppose un objet sur le mode de la représentation. C'est le propre de la logique d'entendement qui ne parvient pas à concevoir que l'objet qui lui fait face est en même temps elle-même. Et qu'elle est elle-même, en qualité de condition de l'objectalité du phénomène, toute réalité extérieure, du fait même que le Sens et la distinction qu'elle assigne aux choses n'a de sens et de valeur que pour elle au moment où elle pense et sur le mode par lequel elle le pense.
Aussi la conscience qui se pense finie par opposition à l'infini oublie de voir que l'infini contient nécessairement l'esprit fini qui tente de le penser. Car à ce moment il le fait exister. Le sens même de l'Infini n'a de sens que pour une conscience finie. C'est cette conscience qui fait émerger l'Infini à la conscience de lui-même. C'est justement ce que n'a pas vu Spinoza qui, lorsqu'il démontrait lui-même l'identité de la Nature et de l'Esprit, de l'étendue et de la pensée, ne s'est pas conçu lui-même dans la forme même qu'il donne à l'Ethique, comme moment de l'absolu, mouvement du Réel s'accomplissant dans le rationnel.
J'arrête là pour l'instant.