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Discussion: "Le beau n'est-il que l'objet d'une perception?"

  1. #1
    Jenny0219 Guest

    Par défaut "Le beau n'est-il que l'objet d'une perception?"

    Voilà j'ai aps mal de difficultés car le sujet ne me parait pas tres clair et de plus je n'ai pas de cours sur "LE Beau" car il n'est plus au programme... Merci si vous pouviez m'aider..

  2. #2
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    Suivre ce lien et tout lire jusqu'au bout:
    Pourquoi sommes-nous sensibles à la beauté ?
    http://forum.philagora.net/showthrea...ight=cest+beau
    Sur un entretien aves Monsieur Besnier , dans la prestigieuse revue, Sciences et Avenir

  3. #3
    Jenny0219 Guest

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    j'ai tout lu..Mais j'ai toujours du mal à dégager un plan et une problématique... ca me parait vraimen difficile

  4. #4
    lucie1 Guest

    Lightbulb

    Un cours sur L’essence de la beauté

    Il en est de la beauté, comme il en est de l’amour: ce sont des mots que nous employons constamment, mais dont le contenu est extrêmement confus. Nous avons toutes sortes d’opinions sur la beauté. Nous parlons d’une belle voiture, d’un beau match de foot, d’un beau tableau, d’une belle femme ou d’un bel arbre, mais pour dire quoi exactement ? Pour qualifier un désir? Une excitation émotionnelle? L'auto-satisfaction d'un jardinier qui vient de tailler une haie au carré? Celle de notre érudition en matière d'histoire de l'art? Nous ne savons pas ce que c’est que la beauté.

    Le plus souvent, si nous sommes mis au pied du mur pour justifier nos propres opinions, nous nous en tirons par une porte de sortie évasive : de toute façon, la beauté, c’est « subjectif ». C'est en fait parler pour ne rien dire.

    Que l’appréhension de la beauté soit subjective, cela, personne n’en doute ; ce qui fait problème, c’est bien plutôt de savoir ce qui peut bien donner lieu à cette expérience qu’est l’expérience de la beauté. Y a-t-il des conditions nécessaires, universelles pour que l’expérience de la beauté se manifeste en nous ? La beauté tient-elle à l’objet, ou est-elle seulement dans l’esprit de celui qui contemple ? La beauté est-elle dans le regard ou dans la chose regardée?

    A. Le relativisme en matière de beauté

    Partons de l’opinion et de l’appréhension postmoderne de la beauté. Nous nous servons assez peu du qualificatif « c’est beau » ; nous préférons souvent des termes plus excessif : « c’est génial !», « c’est nul !», ou plus intellectuels : « c’est intéressant ! ». De toutes manière, la beauté est un concept qui est relativisé à l’extrême : l’épithète « beau », peut désigner n’importe quoi et sans que l’on sache exactement ce que cela veut dire avec précision. J’appelle relativisme une doctrine qui dénie une valeur absolue à son objet, pour le ravaler à des conditions relatives. En matière de beauté, le relativisme prend deux formes :

    1) Le relativisme culturel soutient que la beauté, ce n’est qu’une norme issue de la société, ou d’une culture donnée et qu’il n’y a pas de beauté en dehors de la norme que chacun d’entre nous acquiert dans sa culture. En Afrique du nord, on aime les femmes tatouées sur tout de corps, on trouve que c’est « beau ». En Europe, on trouvera plutôt que c’est « laid ». Voyez le livre de Marc Boutet et son séjour en tant que chinois en Chine. Pour le chinois commun, la beauté féminine, c’est la finesse des traits, les proportions de la chinoise. Il dira communément que les européens sont laids. Ils sont de gros yeux exorbités, de grands nez. Bref, ils sont laids par rapport à la norme de la beauté du chinois. L’africain trouvera laid l’européen à la peau blanche, délavée, au teint maladif, comparé à la beauté de la peau d’ébène, aux proportions puissantes, à la beauté esthétique de l’africain. En bref, la beauté, cela s’apprend, cela s’acquiert. On apprend dans une culture à trouver beau telle ou telle chose, à trouver laid telle ou telle chose. Un espagnol a appris à trouver « belle » une corrida, tandis que pour les peuples du nord, dont ce n’est pas la culture, ce n’est pas d’emblée un spectacle que l’on trouvera beau. L’appréciation de la beauté, ce n’est pas inné, c’est acquis, cela relève de la culture et pas de la nature. Chaque culture produit ses normes de la beauté et apprends aux hommes à juger en fonction de ces normes. Le jugement esthétique n’est que l’effet du conditionnement culturel. Il est le reflet de l’ethnocentrisme le plus ordinaire, le fait que chaque culture s’estime en possession des normes exclusive de bien et du mal, du beau et du laid etc.

    Le second aspect du relativisme culturel est son application au phénomène de la mode dans le contexte postmoderne. En effet le consommateur a été soigneusement conditionné par le matraquage publicitaire à croire que ce qui est à la mode est « beau » et ce qui n’est pas à la mode est « laid ». Il juge facilement que ce qui est « démodé » est « moche ». Un couturier disait que l’on peut facilement habiller les femmes comme des prostituées, elles ne s’en rendront pas compte, du moment que c’est « la mode », elles vont s’ébahir devant n’importe quoi en disant d’une horreur qui est en vitrine « oh que c’est beau »… parce que c’est à la mode. La publicité décrète ce qui est beau et le consommateur obéit à la norme en alignant son jugement sur elle. Il suffit de changer la norme à chaque saison et on recréer la norme du « beau » et du « laid », et ce qui l’année passée était jugé « laid » devient « beau », par la seule magie d’un conditionnement massif dans l’image publicitaire. La beauté, cela s’apprend ! Cela s’apprend sur les pages des magazines féminins, sur les écrans de publicité et les clips vidéo. C’est un concept. Mais à l’aune de la mode, c’est aussi un concept arbitraire, puisqu’on peut y mettre quasiment n’importe quoi, le consommateur obéissant trouvera toujours que c’est beau, parce que tout le monde en parle, parce qu’on l’a vu à la télé, parce que c’est le dernier gadget à la mode. Dans ce cas, il est clair que le jugement sur la beauté ne relève pas d’une véritable sensibilité au beau, c’est l’écho du conditionnement collectif. Le consommateur qui dit « c’est beau » devant une paire de chaussures de pacotille et de mauvais goût, est comme un perroquet qui récite une leçon apprise. Il ne fait pas de la beauté une expérience qu’il rencontrerait comme une émotion sensible. Il est dans le jugement-réflexe. D’ailleurs, plus sa sensibilité est dénaturée, plus il est écervelé dans son jugement et mieux cela vaut économiquement. Il pourra s’extasier devant n’importe quoi. Il achètera n’importe quoi, parce qu’il est facile à suggestionner, parce qu’il jugera beau n’importe quoi, par le seul effet de l’imitation et du conditionnement ambiant.

    Le relativisme culturel n’a que peu de rapport avec la reconnaissance sensible de la beauté. A moins de n’être soi-même qu’artifice, à moins de n’avoir de goût que pour ce que la consommation propose, chacun d’entre nous reconnaîtra qu’il est à même de rencontrer la beauté en dehors de toutes les normes culturelles. Je ne vois pas pourquoi, parce que je suis un blanc-français-baptisé- je resterais insensible à la beauté noire, pourquoi si je suis de culture beur, je devrais être insensible à la voix d’Edith Piaf, à la musique de Bach ou à la profondeur d'un raga au sitar. C’est idiot. Le relativisme culturel est une chose, l’émotion de la beauté en est une autre.

    2) Cependant, même en voyant clairement les limites du relativisme culturel, on peut encore tomber dans une autre forme de relativisme. Le relativisme subjectif en matière de beauté, consiste à dire que la beauté n’est que l’expression de ma sensation individuelle. « A chacun ses goûts ». « Les goûts et les couleurs, cela ne se discute pas ». Le concept de beauté est alors une affirmation purement égocentrique. Comme le disait Voltaire, la beauté pour le crapaud, c’est sa crapaude ! C’est relatif à chacun. L’un verra la beauté dans Shakespeare, l’autre ne verra que par San Antonio ! Le premier trouvera laid ce que le second dit être beau et réciproquement. Est beau donc, simplement ce qui me fait envie sur le moment, est laid ce qui me dégoûte, me repousse. Comme je suis en tant que subjectivité, en tant que moi différent d’autrui, je n’ai pas les mêmes goûts que lui. « A chacun ses goûts ». En vertu du postulat démocratique, on dira même que les opinions se valent et qu’il n’y a pas à juger. Tout se vaut. Le bitume, les HLM et un paysage de montagne, c’est pareil, la Traviata de Verdi et le dernier spectacle d’un boy’s band, c’est pareil ; les tags sur les murs du lycée, cela vaut les dessins de Manet, le piercing de fakir, cela vaut le naturel, le maquillage délicat. Tout ce vaut. C’est affaire de goût, chacun décrète beau simplement ce qui lui plaît et c’est tout. Est beau, ce qui m'est agréable, un point c'est tout. Ce qui veut dire : la beauté, en soi, cela n’existe pas, tout est affaire de désir, d’attirance de répulsion individuelle. L’idée de beauté varie suivant les individus. Elle ne peut jamais être universelle, elle est toujours particulière et subjective, comme est particulière et subjective la préférence que défend chaque ego.

    Non seulement cela, mais l’idée de beauté varie aussi suivant les périodes de la vie et les dispositions. La beauté est aussi inconstante que la conscience de l’ego lui-même. Diderot dit joliment : « Chaque âge a ses goûts. Des lèvres vermeilles bien bordées, une bouche entr’ouverte et riante, de belles dents blanches, une démarche libre, le regard assuré, une gorge découverte, de belles grandes joues larges, un nez retroussé, me faisaient galoper à dix huit ans… C’est qu’à dix huit ans, ce n’était pas l’image de la beauté, mais la physionomie du plaisir qui me faisait courir ». Diderot reconnaît ici que le jugement qui ne met en avant que l’attirance sensuelle ne suffit pas pour qualifier le sentiment esthétique, mais chez l’adolescent, le jugement d’ordre sensuel, prend la place du jugement d’ordre sensible, comme c’est toujours le cas quand nous jugeons du beau de manière impulsive en décrétant comme mesure du beau nos réactions immédiates. Il en est toujours ainsi quand nous assénons des jugements à l’emporte-pièce, sans aucune nuance, sans justification autre que la réaction elle-même. Or, d’époque en époque, nous pouvons changer d’attitude et avoir plus de calme et de pondération, et du coup apprécier ce que nous mettions aux orties auparavant. L’idée de beauté ne peut pas demeurer stable chez le même individu. Elle ne le peut pas parce qu’en plus, la disposition du moment de nos humeurs fait fluctuer nos jugements sensuels d’un contraire à l’autre. Si je suis d’une humeur massacrante, il est possible que le tableau qui est dans mon salon, que je trouve beau me paraisse particulièrement laid, parce que je suis mal disposé.

    3) Ce type de jugement est tout de même assez primaire. Il y a fort peu de chances pour qu’il puisse être capable de reconnaître la beauté. Même dans le contexte postmoderne qui est le nôtre, nous admettons que l’appréciation esthétique véritable suppose une pondération. Elle doit au moins s’appuyer sur une expérience esthétique pour avoir son sens, sinon elle ne veut plus rien dire. Or, pour l’homme postmoderne, l’expérience esthétique est avant tout intellectuelle, elle est issue d’un savoir et d’une culture historique. Ce que nous avons appris, ce qui nous a été asséné dans notre monde ambiant, c’est justement le relativisme historique. Par relativisme historique en matière de beauté, j’entends la doctrine qui soutient que l’idée de beauté est relative à des circonstances historiques données, de sorte que chaque époque produit un concept de la beauté, concept qui cesse de valoir à l’époque suivante. Les Vénus languissantes de Botticelli pouvait séduire les hommes de son époque, nous n’en avons aujourd’hui plus rien à faire ; nous, ce que nous aimons, c’est l’abstraction. Les modèles de Rodin, de Turner, de Bach ou de Scarlatti, c’est du passé. Ce n’est plus l’esthétique de notre époque. Cela fait désuet, vieillot, cela ne manque pas d’attrait, mais nous ne pouvons pas trouver cela « beau », il nous faut aujourd’hui de l’audace dans la provocation, de l’inédit, de l’insolence, de la violence visuelle ; bref, notre goût postmoderne mesure la beauté au choc qu’elle est susceptible de produire. Du coup, l’art du passé ne retient pas notre intérêt esthétique, nous n’y voyons qu’une curiosité historique : plus exactement, nous dirons, « oui, oui, Mozart, Rembrandt, c’est beau, ... mais cela ne nous intéresse plus vraiment ». C’est ce genre de relativisme qui est le lieu commun des écoles d’art plastique, des beaux arts aujourd’hui. Et il est si fermement ancré dans les esprits qu’il ne viendrait à l’idée de personne de remettre en cause l’idée que la beauté est un concept et un concept purement historique. Le relativisme historique est une opinion massivement installée chez les esthètes et les artistes de notre temps. Il y a la beauté classique avec ces femmes bien rondes, la beauté grecque de la Victoire de Samothrace, la beauté impressionniste etc. C’est un concept relatif qui se décline dans une définition analysée par les spécialistes. Il y a une formule historique avec des normes et les normes changent d’époque en époque. Là aussi, comme pour ce qu’il en est du relativisme culturel, la beauté s’apprend et cette apprentissage s’appelle la culture esthétique, qui n’est rien d’autre qu’une culture historique.

    Le point commun de toutes les formes de relativisme, c’est bien sûr de relativiser, de faire tomber l’Idée de l’absolu dans le relatif. La beauté, en tombant de l’absolu dans le relatif, tombe aussi dans le temps et devient alors un concept aussi éphémère que ses objets. Pour la même raison, la beauté nous semble nécessairement « subjective » au sens étroit du terme, c’est-à-dire des partis pris de l’ego. L’idée qu’il pourrait y avoir une Beauté au-delà des partis pris de l’ego est une idée très étrange, complètement anachronique. La soutenir, c’est prendre à rebrousse-poil toute la culture de notre époque.

    B. L’harmonie et la beauté objective

    Pourtant, ce que nous disons en ce sens de l’art, en matière de relativisme culturel et historique, nous ne pouvons pas le dire de la Nature qui pourtant comporte de la beauté. Le mimosa dans mon jardin est tel qu’il a toujours été depuis des millions d’années. Le soleil qui se couche sur les montagnes est tel qu’il a toujours été. La Nature nous offre en permanence le spectacle d’une esthétique intemporelle, d’une esthétique qui ne dépend pas de nos préférences subjectives, d’une esthétique qui ne dépend pas des modes, des revirements de l’art, de l’histoire. Nous ne pouvons tout de même pas nier qu’il y a de la beauté dans la Nature. Est-ce que cela ne veut pas dire que malgré tout l’idée de Beauté en un sens a une réalité « objective » ?

    Pour résoudre ce problème, il est indispensable de tenter de comprendre ce qu’est l’harmonie. Il est certes très difficile de préciser ce qu’est la beauté, cependant, ce qu’il est possible de faire, c’est de définir ce qui rend une chose belle, à savoir l’harmonie qu’elle comporte. Il y a de l’harmonie dans les êtres naturels, comme il y a de l’harmonie dans les belles œuvres d’art.

    Dans l’Hippias Majeur de Platon, la position du problème se formule ainsi dans le dialogue entre Socrate et Hippias :

    « - les belles choses ne sont-elles pas belles par la beauté ?

    - Oui, par la beauté.

    - Qui est une chose réelle ?

    - Oui, car que serait-elle ? »

    Une chose belle : une rose, une visage de femme, une sonate de Beethoven, est belle par participation à la Beauté, en vertu de l’harmonie qu’elle comporte. Quand nous demandons « ce que c’est que cette beauté », nous ne demandons pas « quelle chose est belle », mais nous voulons « savoir ce qu’est le beau ». Il ne s’agit donc pas de fournir des exemples, mais d’approche l’essence de la Beauté. Cette erreur, Hippias la commet en disant plus loin : « que le beau, c’est une belle fille ». Il dira encore, que le beau, c’est un beau cheval, et on peut allonger la liste « une belle lyre », « une belle marmite » etc. Ce qu’il importe de découvrir, c’est la Beauté en soi. « Si une belle fille est belle, c’est qu’il existe quelque chose qui donne leur beauté aux belles choses ». Cela ne tient assurément pas seulement à la matière. Ce n’est pas l’ivoire ou le marbre qui rend une statue belle. La beauté n’est pas non plus simplement une parure qui vient s’ajouter à une chose en la rendant belle, comme un bijoux sur les épaules d’une femme. Non la beauté tient plus à la forme de la chose qu’a la matière. Le marbre est beau quand il est employé bien à propos, quand il y a dans la statue un rapport formel de convenance entre ses parties, c'est-à-dire quand il y a en lui une harmonie de composition. L’harmonie rend une chose belle. Pourquoi ? Parce que dans l’harmonie, les parties viennent composer un tout, de sorte que la chose harmonieuse rayonne une unité qui domine les aspects de sa multiplicité. Descartes écrit en ce sens : « La beauté est un accord et un tempérament si juste de toutes les parties ensemble, qu’il n’y en doit avoir aucune qui l’emporte sur les autres ». L’harmonie donne une unité vivante et c’est cette unité vivante qui nous trouble, qui nous touche, dans le sentiment de la beauté.

    1) Mais qu’est-ce que l’harmonie ? L’harmonie se rencontre dans tous les arts, en musique tout d’abord, en peinture, en sculpture, en architecture. Mais elle est aussi très présente dans la Nature. Il y a harmonie quand la convenance des parties de la chose manifeste un ordre qui, loin d’être imposé par le regard ou le jugement du spectateur, ou l’oreille de l’auditeur, est immanent à la chose même. Cet ordre suppose un minimum de régularité des formes. Le manque de régularité fait désordre et cela introduirait hasard et disharmonie. La régularité est obtenue par la symétrie qui répartit les différents éléments sur un ou plusieurs axes de symétrie. Les anciens tenaient le cercle pour le symbole de la perfection, car il comporte une infinité d’axes de symétrie. Plus que la symétrie, l’harmonie implique une proportion juste. Un beau corps est bien proportionné. Un visage qui est disproportionné n’est pas perçu d’emblée comme beau. Qui dit proportion, régularité et symétrie, dit ordre mathématique. L’harmonie est la présence du nombre dans l’univers expliquait Pythagore.

    C’est dans la musique que cette présence des structures mathématiques dans l’harmonie est la plus flagrante. Si l’appréciation subjective de la beauté se situe au niveau des sens, c’est à la raison qu’il appartient de préciser les lois objectives qui structurent l’harmonie. L’essence de la musique est dans le nombre. Si on prend une corde de guitare et qu’on la touche avec un doigt de la main gauche à la moitié de la longueur, donc à la valeur 1/2 , tout en faisant sonner la corde avec la main droite, on obtient ce qui est appelé une harmonique, à l’octave supérieur de la corde à vide. Si on pose le doigt sur le point qui est à 2/3 de la corde, on a la quinte. Si on pose le doigt au 3/4 de la corde, on a quarte. L’octave, la quarte et la quinte sont les principaux intervalles de la musique et ils sont représentés par les quatre premiers nombres 1,2,3,4. L’école de Pythagore donnait une portée cosmique à cette analyse. Non seulement les rapports des nombres régissent la musique, mais ils régissent tout l’Univers. Les dieux aussi connaissent la musique, car la Manifestation divine est musique, musique des sphères disait-on dans l’antiquité. En Inde, on parle dans le même sens des Gandharva les musiciens célestes. Quand la musique humaine rejoint la musique des dieux, elle exerce une influence bienfaisante. Le chant des Sirènes inspire l’amour des choses divines ou l’oubli de la vie terrestre. Les anciens disaient que la musique terrestre n’est qu’un écho de cette harmonie qui aide l’âme à se souvenir des choses qu’elle a vue dans une vie antérieure. La musique humaine, dans son élévation, ne fait qu’imiter l’harmonie des astres. L’âme individuelle est elle-même habitée d’une musique intérieure qui, une fois que l’âme est libérée du corps, contribue aux harmonies cosmiques. Ainsi la musique est-elle un lien entre l’homme et le cosmos, de même que l’Univers est un instrument harmonieux dont les dieux jouent. L’homme est un petit monde qui est à l’image de l’Univers, microcosme dans le macrocosme, tout être étant composé de fini et d’infini. Pour ces raisons fondamentales, les pythagoriciens expliquaient que la musique harmonieuse revitalise l’homme en l’accordant avec l’univers. Inversement, sans harmonie la musique blesse, contrarie, trouble l’équilibre. Toute maladie est déséquilibre de l’harmonie du corps. Il doit donc être possible de se servir de la musique comme thérapie ; car la santé n’est rien d’autre qu’une harmonie psychique et physique qu’il s’agit de maintenir. Non seulement cela, mais la musique a des vertus pour apaiser les déséquilibres émotionnels, et elle incite surtout l’intelligence à comprendre le sens vrai du déséquilibre, ce sens du déséquilibre qui peut-être appliqué à d’autres domaines, tel l’éducation, ou la politique. Ce que nous disons là, à partir du pythagorisme, n’a rien de très original. On en trouve une expression complète en Inde dans les textes très anciens des Gandharva Veda, dans l’exploration du sens des raga, au fondement de la musique classique de l’Inde. Dans des temps très reculé, les théoriciens de la musique avaient déjà compris le sens de la musico-thérapie.

    L’harmonie trouve son étude privilégiée en musique, mais ne s’y limite pas. Elle a sa place dans l’architecture, dans la peinture et dans la sculpture. Pythagore avait mis en évident l’existence d’un nombre d’or régissant les proportions harmonieuses du corps humain. C’est à partir de ce même nombre d’or que l’on a pu étudier les proportions des pyramides, des temples grecs, les proportions de la statuaire grecque représentant les dieux. Léonard de Vinci a figuré dans un dessin célèbre les cercles donnant les proportions harmoniques entre les bras, la tête, le tronc, les jambes dans l’unité du corps humain.

    Ce à quoi nous conduit donc la théorie de l’harmonie, c’est à l’idée qu’il y a en un sens une « beauté objective ». Plus exactement, ce n’est pas tant la beauté qui est objective, car elle est liée avant tout à une expérience esthétique particulière, ce qui est objectif dans la beauté, c’est l’harmonie. Il est tout à fait étonnant de remarquer à ce titre que toutes les grandes œuvres musicales comportent des structures remarquablement ordonnées. On a parfois reproché à Bach d’être en ce sens trop mathématicien. L’art de la fugue en effet est d’une technicité mathématique redoutable. Le contrepoint est une technique extrêmement difficile à maîtriser par les seuls moyens du concept. Mais ce qui est étonnant, c’est que le génie trouve spontanément dans l’inspiration les Idées-formes de l’harmonie. On est assez surpris de remarquer que des musiciens brillants, qui ne connaissent même pas la théorie musicale puisse créer des œuvres dont la mathématique est remarquable.


    2) Ce qui peut étonner plus encore, c’est que la Nature elle-même sache aussi le faire. Une fleur de tournesol comporte une régularité, une symétrie, une géométrie en spirale tout à fait étonnante. La plupart des organismes supérieurs sont construits sur une symétrie : le corps du renard, de la truite, de la fauvette a un axe de symétrie. L’oursin et l’étoile de mer ont plusieurs axes de symétrie. Le corps humain a un axe de symétrie. Ce qui est surprenant, c’est que la Nature ne semble avoir le soin de la symétrie que dans ce qui est visible. La symétrie n’est pas autant respectée dans les viscères. Elle ne l’est que dans la forme extérieure. Tout se passe comme si la Nature avaient un soin particulier pour l’esthétique et négligeait l’esthétique pour ce qui ne se voit pas. La beauté naturelle ne procède d’aucun concept humain. Kant distingue ainsi ce qu’il appelle la beauté libre de la beauté adhérente. Par beauté adhérente, il entend la beauté artistique pour autant qu’elle peut encore se rattacher à une fin déterminée. La bouilloire en argent n’est pas jugée belle seulement dans sa forme, mais elle est rattachée à une fin utilitaire donnée. Une « belle marmite », dit-on, c’est une marmite qui est bien commode pour faire la cuisine. Par contre, « beaucoup d’oiseaux (le perroquet, le colibri, l’oiseau du paradis), une foule de crustacés marins sont en eux-mêmes des beautés, qui ne se rapportent à aucun objet déterminé quant à sa fin par concept, mais qui plaisent librement et pour elles mêmes ». Dès l’instant où nous entrons dans l’univers humain, la perception, insensiblement, devient utilitaire et est associée à une fin. « la beauté de l’homme (et dans cette espèce, celle de l’homme proprement dit, de la femme ou de l’enfant), la beauté d’un cheval, d’un édifice (église, palais, arsenal, ou pavillon), suppose un concept d’une fin, qui détermine ce que la chose doit être et par conséquent un concept de perfection ; il s’agit donc de beauté adhérente ». Dans le terme « perfection » Kant désigne ici la conformité achevée à une norme. De là suit que le jugement de goût, qui s’adresse à une beauté adhérente, risque toujours d’être impur, pour autant qu’il est contaminé par le concept de la fin et la perfection qui lui est attachée. A l’égard de la beauté libre par contre, le jugement esthétique peut-être pur. « Dans l’appréciation d’une libre beauté (suivant la forme) le jugement de goût est pur. On ne suppose pas le concept de quelque fin pour laquelle servirait les éléments divers de l’objet donné et que celui-ci devrait représenter ». Dans l’art humain, cette forme de beauté libre existe aussi, à côté des représentations à caractère figuratif : Kant donne l’exemple des dessins à la grecque, de la musique d’improvisation sans thème et même de toute la musique sans texte. Dans pareil cas, les motifs « ne signifient rien en eux-mêmes, ils ne représentent rien, aucun objet sous un concept déterminé et sont de libres beautés ».

    De la même manière, dans la beauté naturelle, la fin qui pourrait être représentée dans l’objet, est complètement oubliée en faveur de la pure forme esthétique. Kant a une expression très étrange pour dire cela, il parle de « finalité sans fin ». Il est possible, en adoptant un point de vue objectif et scientifique de trouver une fin. On dira que si le papillon, le paon, est beau, c’est à des fins de reproduction sexuelle. La fin détermine ce que la forme doit être pour autant qu’elle sert à quelque chose. « Ce que doit être une fleur, peu le savent, hormis le botaniste et même celui-ci, qui reconnaît dans la fleur l’organe de fécondation de la plante, ne prend pas garde à cette fin naturelle quand il en juge suivant le goût ». Ce n’est pas avec sa science objective que le botaniste apprécie la beauté de la fleur, c’est avec sa sensibilité subjective. La beauté ne peut-être l’objet d’une analyse, car l’analyse objective décompose et que toute décomposition tue l’unité, or il n’y a pas de beauté sans le sens de l’unité. De même, il n’y a pas de beauté là où le concept règne seul et sans partage. Si la mathématique de l’harmonie ne concernait que le concept seul, elle serait seulement un objet pour la pensée et elle laisserait le cœur insensible. C’est le cœur éprouve ce que l’harmonie livre de beauté. Cela ne veut pas dire que la beauté concerne n’importe quelle forme de subjectivité. Ce qui est beau, ce n’est pas seulement ce qui « me plaît à moi ». Le beau n’est pas non plus ce qui est déterminé par le concept d’une fin et d’une règle liée à un moment historique et une culture. La subjectivité qui pressent la beauté a un caractère universel, elle est au point de jonction entre l’intelligence et la sensibilité, là où intelligence et sensibilité se rencontrent.

    Nous voilà prêt à comprendre la formule de Kant : « le beau est ce qui plaît universellement et sans concept ». Ce qui plaît universellement désigne la sensibilité de tout être humain et pas la sensibilité particulière qui me distingue en tant qu’individu qui a ses goûts, ses préférences, ses rejets, ses choix, ses désirs, son avidité pour tel ou tel objet. La sensibilité esthétique suppose la mise entre parenthèse de l’ordre égocentrique que constitue l’agréable. Le beau nous procure une satisfaction désintéressée et puisque la satisfaction du beau est exempte de tout concept déterminé, elle doit pouvoir être ressentie par tous. Il n’en n’est pas de même avec l’ordre de l’agréable. Je peux dire que le goût des huîtres m’est agréable à moi, et non qu’il est agréable. Or le beau va justement au-delà du relativisme subjectif, si bien qu’il est tout à fait possible de dire : c’est beau, mais cela ne me plaît pas. Je fais la différence entre ce qui m’est agréable et ce qui est beau. Cependant, si la beauté est universelle, ce n’est pas exactement parce que c’est la chose qui est belle. La chose comporte seulement l’harmonie. Il faut encore que cette harmonie soit rencontrée par une sensibilité éveillée et disponible. La beauté n’est pas exactement dans l’objet pense Kant, elle est dans une harmonie naturelle entre l’intelligence et la sensibilité, entre nos facultés sensibles et nos facultés intellectuelles, harmonie qui être valable pour tout être humain. Si Kant est dans le vrai, il est tout à fait possible de faire écouter du Mozart à un homme coupé de l’occident, vivant dans une île avec une culture tout à fait différente. Si c’est un être humain, il est comme tout être humain, un cœur et une intelligence et il sera sensible à la beauté de la musique. La beauté parle à son âme et parle de l’unité de l’âme, de l’unité entre la sensibilité et l’intelligence, entre le corps et l’esprit. Kant dit « sans concept ». La beauté n’est pas affaire de concept et c’est la raison pour laquelle il est impossible de convaincre qu’une œuvre est belle. Vouloir convaincre que le Requiem de Mozart est une belle œuvre n’a pas de sens. Pour convaincre, nous nous servons de raisons, d’arguments, de justifications, de concepts donc. Avec des concepts, on peut tout démontrer, démontrer une chose et son contraire. Je peux avec des concepts accumuler les références historiques, éblouir le novice et faire étalage de ma science en matière d’art. Avec des concepts, je peux analyser dans le détail la technique de l’artiste, montrer comment l’œuvre est structurée et comment l’artiste s’y est pris. C’est avec ce genre de considérations que l’on pourra discourir longuement sur les effets spéciaux d’un film, la technologie vidéo utilisée, le morphing des personnages, le nombre des figurants. C’est avec des concepts techniques que l’on pourra s’extasier sur le nombre des instruments utilisés et sur la durée des vocalises dans un opéra, le nombre d’instrument. Et puis quoi ? Va-t-on convaincre pour autant de la beauté celui qui n’a rien senti ? En quoi un catalogue de chiffres peut-il me faire pressentir la beauté si je ne suis pas touché ? Non. On est bouleversé, intérieurement touché ou on ne l’est pas ; nous ne pouvons pas convaincre celui qui n’a pas la disponibilité, l’ouverture, car nous ne pouvons sentir à sa place, or la beauté est justement affaire de sensibilité plus que d’arguments.

    C. Tensions et contrastes, beauté et intériorité

    Un adage indien dit que la beauté est dans l’œil de celui qui contemple. Cette formule ne ramène pas la beauté à quelque chose de « subjectif » au sens où on dit « les goûts et les couleurs, cela ne se discute pas ». Elle veut seulement dire que la beauté est dans l’âme, que la beauté est intérieure et que c’est toujours l’extase de la beauté intérieure qui fait notre admiration et notre joie. Celui qui ne la découvre pas y reste seulement et pour un temps fermé, ou bien il l’est, parce qu’il s’accroche avec entêtement seulement à ce qui lui plaît et refuse de porter son attention sur la beauté. Le beau, explique Simone Weil, n’apparaît que dans l’attention que nous lui portons. Quand le silence et l’attention ne sont pas là, on ne voit rien de beau et seul compte alors l’ordre de la pensée et celui de la sensualité immédiate. Seule une libre ouverture de la conscience permet la révélation de la beauté. Et qui dit ouverture, dit aussi fermeture. On ne peut pas faire éprouver la beauté de force, on ne peut convaincre en direction de la beauté ; du moins, par une éducation esthétique appropriée, peut-être est-il possible de parvenir à une désobstruction de la sensibilité. Comme le dit très bien Bergson, certains d’entre nous ont reçu de naissance cette ouverture qui les rend spontanément sensibles à la beauté de l’art. La Nature a pour les âmes artistes levé le voile de la perception ordinaire, pour leur donner la transparence qui rend sensible à la beauté. Il n’y pour ceux-là pas d’obstacle au libre épanouissement de la sensibilité dans l’extase de la beauté. Pour d’autres, l’inertie, le voile sur la perception, le jeu du mental conceptuel, sont tels qu’ils restent comme sourds à ce pour l’âme artiste est pur ravissement. Quand l’inertie est si forte, il est nécessaire d’user de contrastes violents, de tensions et de dysharmonie pour faire ressortir la beauté. Notre monde postmoderne est devenu si insensible à la beauté, qu’il lui faut des spectacles crus et violents, une musique tonitruante, des outrances verbales, pour qu’il puisse enfin goûter un instant d’apaisement dans la beauté. Un moment pathétique et magnifique sur une scène de théâtre. Une scène inoubliable dans une histoire chaotique au cinéma. Le délice d’une musique douce et belle, comme un arrêt du temps au milieu d’un orage haineux de hard rock. Un pur moment de poésie, au milieu de la trivialité stupide des sketches d’un comique. Nous avons un tel besoin de nous libérer des tensions que nous portons en nous, qu’il nous faut de l’énorme, de la puissance, de la violence pour dénouer nos troubles et arriver enfin à l’apaisement de la beauté. Pour rencontrer la beauté, l’esprit doit s’être vidé de ses tensions et doit avoir rencontré l’humilité.

    Que cherchons-nous donc dans l’appel de la beauté ? Shri Aurobindo précise : « Au début, la recherche de la beauté est simplement une satisfaction de la beauté de la forme, la beauté qui fait appel aux sens physiques, aux impulsions, aux impressions et aux désirs du vital. Plus évoluées, elle n’est encore qu’une satisfaction dans la beauté des idées saisies, des émotions suscitées, dans la perception procédé parfait ou d’une combinaison harmonieuse ». Mais est-ce tout ? Que cherche au fond cet appel de l’âme ? « Derrière cela, l’âme de la beauté en nous désire le contact, la révélation, la félicité enivrante d’une Beauté absolue qu’elle sent présente en toutes choses, mais que ni les sens, ni les instincts ne peuvent nous donner par eux-mêmes, bien qu’ils puissent en être le canal –car elle est suprasensible- et que ni la raison et l’intelligence ne peuvent non plus nous fournir, bien qu’elle en soient aussi le canal – car elle est supra-rationnelle et supra-intellectuelle - et que l’âme, à travers tous ces voiles, cherche à atteindre ». Ce que l’âme cherche dans la Beauté, c’est la présence de l’Absolu, du Divin, dans le monde. « Quand le sens de la beauté en nous peut-être touché par cette beauté universelle et absolue, par cette âme de la beauté, sentir sa révélation dans les plus petites choses comme dans les plus grandes dans la beauté d’une fleur, d’une forme, la beauté et la puissance d’un caractère, d’une action , d’un événement, d’une vie humaine, d’une idée d’un coup de pinceau, ou de ciseau, ou dans le scintillement du mental, dans la couleur d’un coucher de soleil ou la grandeur d’une tempête, alors, il est réellement, puissamment et entièrement satisfait ». (texte) On ne rendra jamais justice à l’aspiration à la beauté en nous si on n’évoque pas l’élan de l’âme vers le Divin.

    C’est ce mouvement qui est perceptible dans la le Traité du beau de Plotin dans la première Ennéade. La beauté ne se résout pas seulement à une symétrie de composition. « Tout le monde, pour ainsi dire, affirme que la beauté visible est une symétrie des parties les unes par rapport aux autres et par rapport à l’ensemble ; à cette symétrie s’ajoutent de belles teintes ; la beauté dans les êtres, comme d’ailleurs dans tout le reste, c’est leur symétrie et leur mesure ». Cependant, comment appliquer cette symétrie aux belles actions ? Aux belles sciences ? Aux beaux discours ? « La vertu qui est une beauté de l’âme et bien plus réellement une beau que celles dont nous parlions : en quels sens y aurait-il là des parties symétriques ? » Même quand nous parlons de la beauté dans les corps, nous avons en vue ce qui est au-delà de la définition géométrique. En découvrant la beauté des corps, l’âme en réalité « se souvient d’elle-même et de tout ce qui lui appartient ». Elle gravite insensiblement du sensible vers l’Intelligence et de l’Intelligence vers l’Un. Elle voit d’abord dans les beautés leur participation à l’idée et elle comprend que la beauté siège dans un être « lorsqu’il est ramené à l’unité ». Ce qui l’illumine d’abord, c’est la présence de la pure Intelligence dans la perfection des êtres, qui fait que « la beauté du corps dérive de sa participation à une raison venue des dieux ». Venue du monde sensible, où elle a ordinairement séjour, l’âme réintègre le monde intelligible, mais pour aller plus loin encore, elle doit se dégager de toute limite en opérant en elle une transformation qui rejette l’impureté pour entrer dans la pureté idéale. Délaissant le vêtement de la forme extérieure, elle se purifie comme pour entrer dans un temple. Et c’est alors l’ultime question qui est celle du sommet de la dialectique ascendante du Banquet de Platon, car « comment verra-t-on cette Beauté immense qui reste en quelque sort à l’intérieur des sanctuaires et qui ne s’avance pas au dehors pour se faire voir des profanes ? » « Que celui qui le peut aille et la suive dans son intimité », mais pour cela, « qu’il abandonne la vision des yeux et ne se retourne pas vers l’éclat des corps qu’il admirait avant. Car si on voit des beautés corporelles, il ne faut pas courir à elles, mais savoir qu’elles sont des images ». Pour rencontrer la Source de toute beauté, il faut transcender le champ du relatif et pénétrer dans le royaume de l’Absolu. Il faut résister au charme des beautés relatives et continuer le chemin vers l’intériorité pure. « Comme Ulysse, qui échappa, dit-on à Circé la magicienne et à Calypso, c’est-à-dire qui ne consentit pas à rester près d’elles, malgré les plaisirs des yeux et toutes les beautés qu’il y trouvait ». Pour entrer dans le saint des saint, il ne s’agit pas de préparer un navire, « il faut cesser de regarder et ; fermant les yeux, échanger cette manière de voir pour une autre, et réveiller cette faculté que tout le monde possède, mais dont peu font usage ». Pas de contemplation du monde extérieur. Plus d’extériorité. Pas de concentration sur une idée. Non, l’accès à la Source de la beauté n’est possible que par la méditation qui ramène vers le Soi. L’injonction est « Reviens en toi-même et regarde », non avec l’œil physique, mais l’œil intérieur de l’âme. « Il faut accoutumer l’âme elle-même à voir d’abord les belles occupations, puis les belles œuvres, non pas celles que les arts exécutent, mais celles des hommes de bien. Puis il faut voir l’âme de ceux qui accomplissent de belles œuvres ». Et au terme, à la question : comment peut-on voir cette beauté de l’âme bonne, il faut répondre « reviens en toi-même et regarde ». Trouve la Beauté en toi. Et si tu n’y parviens pas, suit la Voie négative en éliminant ce qui est accidentel pour ne retenir que l’essentiel. «Fais comme le sculpteur d’une statue qui doit devenir belle ; il enlève une partie, il gratte, il polit, il essuie jusqu’à ce qu’il dégage de belles lignes dans le marbre ; comme lui, enlève le superflu, redresse ce qui est oblique, nettoie ce qui est sombre pour le rendre brillant, et ne cesse pas de sculpter ta propre statue ». Alors, alors seulement, quand tu auras « avec toi-même un commerce pur, sans obstacle à ton unification, sans rien d’autre qui soit mélangé intérieurement avec toi-même », tu seras intime avec la Source même de toute beauté, tout entier Lumière et non pas forme ou dimension. Tu seras alors « devenu une vision », la vision de la Conscience d’unité. C’est seulement dans la conscience d’unité que l’âme peut contempler l’océan de la Beauté dont parle Platon dans le Banquet ; de sorte que l’initiation à la beauté ne saurait être complète, si elle ne parvient pas à un seuil qui soit une véritable changement de la conscience ordinaire, de la vigilance.


    *

    Il est bien facile de se moquer de l’idée selon laquelle la beauté serait objective et d’asséner en retour l’opinion brutale selon laquelle c’est à chacun de se donner son idée de la beauté. Cela revient à nier la beauté. L’étalage des préférences subjectives, le catalogue des normes historiques de l’art, les différences culturelles, tout cela ne rend pas raison de la beauté.

    La théorie de l’harmonie a le mérite de nous émanciper de la subjectivité particulière, de parti pris réducteurs de l’ego. Cependant, l’harmonie reposant sur une structure mathématique relève plus de la pensée que de la sensibilité, or, quand nous parlons de beauté, nous parlons bien évidemment de quelque chose de sensible. La beauté ne se donne que dans une émotion de l’âme, émotion qui relève d’une sensibilité très fine, délicate, qui n’est pas la sensualité brutale, primaire du désir. Cette sensibilité a ses propres repères, mais qui ne se fixent pas dans des canons rigides. La beauté n’est pas le pur concept, elle parle à la frontière entre la sensibilité la plus fine et l’intelligence la plus éveillée. Elle est comme sur une crête de montagne dont un versant serait l’intelligence et l’autre la sensibilité.

    Tant que l’on en reste à des repères historiques, à des normes, on ne voit pas encore ce qui est l’essence même de la beauté, sa dimension proprement intérieure. Ce genre d’erreur pourrait être évité si nous prenions seulement en compte la beauté de la Nature, si nous pouvions comprendre que la beauté ne se réduit pas à une forme d’artifice humain. Mais ce qui est remarquable, c’est surtout que l’approfondissement de la beauté nous reconduit aux profondeurs de l’intériorité. C’est seulement en considérant la beauté du point de vue de la Conscience d’unité que nous pouvons comprendre la diversité d’acceptions du mot « beauté », que ce mot puisse se rapporter au corps, aux choses de la Nature, aux actions, aux événements, à l’âme. C’est dans la dimension de l’intériorité que la beauté prend tout son sens.

  5. #5
    lucie1 Guest

    Talking

    Le beau est-ce ce qui ne sert à rien ?
    des idées à glaner dans une aide plus facile:
    http://www.philagora.net/corrige/beau-sert-rien.php

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