° Rubrique philo dans le grenier

PHILO DANS LE GRENIER

Hannah Arendt
La Condition de l'homme moderne (1958)

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Dans La Condition de l'homme moderne, Hannah Arendt s'interroge sur la confusion du privé et du public, de ce qui relève de la production et de ce qui relève de l'action, qui caractérise le monde contemporain. Elle y voit l'origine de la politique purement gestionnaire et d'une vie publique réduite au travail et à la consommation. C'est donc à un effort de distinction qu'elle invite le lecteur pour retrouver un espace proprement humain, un espace public.

"Dire que le travail et l'artisanat étaient méprisés dans l'Antiquité parce qu'ils étaient réservés aux esclaves, c'est un préjugé des historiens modernes. Les Anciens faisaient le raisonnement inverse: ils jugeaient qu'ils fallait avoir des esclaves à cause de la nature servile de toutes les occupations qui pourvoyaient aux besoins de la vie ... Travailler, c'était l'asservissement à la nécessité, et cet asservissement était inhérent aux conditions de la vie humaine. Les hommes étant soumis aux nécessités de la vie ne pouvaient se libérer qu'en dominant ceux qu'ils soumettaient de force à la nécessité."
Hannah Arendt, La Condition de l'homme moderne, III Calmann-Lévy, page 127

En rattachant le travail à la nécessité de satisfaire des besoins Arendt le ramène à un processus routinier de production / consommation, à une soumission aux exigences naturelles. Du même coup, cela libère un espace pour l'œuvre et l'action.

Le travail: le monde de la vie asservie: habitude, routine, production / consommation =>

Le travail est assujetti à la nécessité de se nourrir, aux besoins: il exige une vie monotone et routinière, quasi-animale: un consentement à la nature.

L'œuvre: le monde humain des objets: il implique la pensée =>

L'œuvre est la fabrication d'objets durables qui constituent un monde humain -> l'œuvre d'art

L'action: le monde pleinement humain des relations.
Le politique réhabilité =>

L'action partagée manifeste à la fois la créativité et la liberté. Elle se réalise dans un pouvoir partagé grâce au débat démocratique, ce qui a pour origine le développement d'un espace public et donc d'un monde pleinement humain.

Il faut comprendre que l'auteur, au contraire de Marx, cherche à établir que l'institution de l'esclavage dans l'Antiquité n'a pas été l'invention d'un instrument d'exploitation. C'était plutôt une tentative faite par des hommes pour éliminer de leur condition le travail et l'asservissement qu'il implique.

"Il (Aristote) ne niait pas que l'esclave fût capable d'être humain; il refusait de donner le nom d' "hommes" aux membres de l'espèce humaine tant qu'ils étaient totalement soumis à la nécessité" Ibidem, page 129.

Comprendre que les grecs distinguaient très bien travail, oeuvre, action: les temps modernes, ayant perdu cette distinction , sont devenus les temps de la médiocrité et de l'asservissement. On mesurera combien l'intelligence des grecs peut ouvrir les portes d'un avenir meilleur: retrouver une distinction qui ouvre la possibilité d'un monde pleinement humain, d'un monde de liberté partagée.
En ce sens nous pouvons inventer les grecs, les grecs sont ce qui rend possible une espérance: ils inspireront notre avenir.

Vers Le pouvoir avec la définition de Arendt en bas de page (lien ouverture nouvelle fenêtre)
Vers Nietzsche (lien ouverture nouvelle fenêtre)

En quoi Arendt est une philosophe de la natalité.
L'homme est avant tout pris dans un cycle perpétuel, qui est symbolisé par le travail: reproduction perpétuelle de cette activité pour survivre. A l'image d'une activité animale, c'est à dire inévitable, instinctive, une contrainte de la nature.
Mais l'homme fabrique des objets, pour s'extraire quelque peu de cette unique condition de survie biologique exprimée dans le travail; il crée sont oeuvre, un monde d'objet pour le stabiliser, pour objectiver la nature et ériger son identité propre face à celle-ci. Il s'extrait en quelque sorte d'elle par la fabrication et s'érige en sujet avec ses semblables. C'est une première recherche de l'éternité, l'immortalité face à la nature éphémère

Puis, et c'est la surtout que la philosophie de la natalité intervient je pense, dans l'action, qui est pour H.A. l'actualisation de la naissance de l'homme. Lire la suite de l'article ici (lien ouverture nouvelle fenêtre)

Quelques citation de H.A. :
"Le miracle de la liberté consiste dans ce pouvoir-commencer".
"Chaque homme est en lui-meme un nouveau commencement".
Elle cite aussi Saint Augustin:
"Pour qu'il y eut un commencement fut crée l'homme, avant qui il n'y avait personne". (La cité de Dieu cité dans Condition de l'homme moderne)

Par J. Llapasset