Extrait de Totalité et totalisations:


L’être ne peut être vrai que s’il est totalité. Le vrai doit comprendre jusqu’aux erreurs qui, exclues, seraient « ailleurs» et réduiraient la totalité à une partie, c’est-à-dire à une abstraction. Contrairement à la conception criticiste du savoir, la pensée vraie est rupture avec l’immédiat du donné, avec l’intuitif. Celui-ci, toujours circonscrit dans ses « vues» (fussent-elles mises ensemble comme se l’imagine une philosophie positiviste qui se veut résultat des sciences), est exclusif, partiel et dépend des « points de vues». Le vrai ou l’absolu, où se montre, comme le dirait Platon, « le soleil en son séjour» (et non seulement en ses reflets), ne peut être que pensé sans résulter d’une synthèse parcourant les éléments d’une série donnée. La pensée pensant l’être dans sa totalité n’est pas un regard placé en face de l’être. La représentation, où l’être se donne à une pensée encore séparée de lui, n’est que l’être encore à l’état d’indétermination ou une pensée encore insuffisamment pensante.

La vraie fonction de la pensée totalisante ne consiste pas à regarder l’être, mais à le déterminer en l’organisant. D’où l’idée de la dimension temporelle ou historique de la totalité : l’histoire n’étant pas un élément quelconque à totaliser, mais la totalisation elle-même. Les erreurs sont vérité dans la mesure où, à une époque historique donnée, elles expriment le réel encore partiel, mais en train d’aller vers son achèvement. Leur caractère partiel même appelle leur rejet, leur négation, qui, dans le concret, se produit par l’action des hommes raisonnables, c’est-à-dire guidés par l’universel, transformant la nature en culture ou dégageant la raison de l’immédiat du donné. Il y a là progression vers le tout, mouvement même de l’histoire ou mouvement dialectique de la pensée.
Et la vérité dépassée et sa négation sont « déterminantes» pour la « nouvelle» vérité qui « ne tombe pas toute faite du ciel», mais résulte de cette détermination historique. L’erreur se conserve dans son dépassement. Elle n’est pas hors la vérité, laquelle est totale lorsque aucune négation n’est plus possible ou qu’aucune détermination nouvelle n’est nécessaire. La totalisation, c’est l’histoire de l’humanité en tant que réalisation de l’universalité rationnelle dans les mœurs et les institutions, où la pensée (le sujet) n’est plus déphasée par le pensé (substance), où rien n’est plus autre pour la raison, c’est-à-dire où l’être est liberté

La pensée dialectique de la totalité permet de saisir à la fois le tout et ses parties vues à la lumière du tout, le tout étant comme chez Aristote la finalité même des parties. Présence totale de l’être à lui-même ou conscience de soi, le tout comme fin de l’histoire n’est pas vide, il est la réalité dans sa concrétude et dans sa détermination la plus complète. Humanité lucide et libre dont le XIXe siècle se croyait l’aurore glorieuse."
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