L'amour peut n'être qu'une figure de la poursuite de l'avoir, la recherche du bonheur peut être la recherche de l'or. On se regarde, dans le couple, pour se fixer mutuellement: à trop se regarder, on finit par confondre le sujet et l'objet, l'amour et la passion au risque d'être écorché quand se révèle la liberté de l'autre, si différent de ce qu'on avait cru dans le premier étonnement du coup de foudre.
Il semble alors que la recherche du bonheur, d'un bonheur partagé, implique que l'on soit deux, différents, et que l'on regarde dans la même direction. A cette condition l'amour peut réunir dans un projet commun sans porter en lui le germe de l'aliénation, sans que l'un ou l'autre ne doive se sacrifier en renonçant à sa liberté. Il s'agit de trouver une médiation, celle d'un projet et non pas un compromis mou où aucun ne se retrouve. Que serait en effet un amour entre deux personnes, fins en soi, pour qui la recherche du bonheur ne peut être être qu'expansion de la liberté, dans l'enfer des compromis?



Oui, l'amour au risque de se perdre, c'est à dire de réduire l'objet à un vide, à l'absence du sujet que l'on poursuit en lui demandant une reconnaissance qu'il ne pourra plus donner parce qu'il est nié, en le réduisant à un creux, à un rien qui ne mérite pas qu'on s'y attarde. Lorsque Elena, dans un sursaut, dans une révolte, fait sauter les opinions, les fantasmes qui la recouvrent pour ainsi dire, on peut se demander si elle se dévoile ou si elle se fait disparaître comme inconsistante. (Oncle Vania, page 29). Un vide accompagné d'un professeur qui se contente de transvaser du vide dans du vide, "qui fait rien que remuer du vent." (Oncle Vania, page 17).
La recherche du bonheur dans et par l'amour se perd donc dans le leurre de la passion ou dans le vide de liberté, puisqu'on a transformé le sujet en objet.
Serait-ce que le vent suffirait aux êtres épris de liberté? (Le chercheur d'or, page 216).
Mais si la nature suffit aux cervelles d'oiseaux, elle ne saurait suffire à l'homme qui porte en lui l'infini: pour lui fuir l'infini c'est se mettre en enfer