«L’ignorance des causes et de l’institution première du droit, de l’équité, de la loi et de la justice, dispose les hommes à faire de la coutume et de l’exemple la règle de leurs actions, au point de penser que l’injuste est ce qu’il a été coutumier de punir, et que le juste est ce de l’impunité et de l’approbation de quoi on peut fournir un exemple (...); semblables en cela aux petits enfants qui n’ont pas d ‘autre règle des bonnes et des mauvaises manières que les corrections qu’ils reçoi*vent de leurs parents ou de leurs maîtres: à ceci près que les enfants sont fidèles à leur règle, alors que les hommes ne le sont pas; en effet, devenus vigoureux et entêtés, ils en appellent de la coutume à la raison, et de la raison à la coutume, comme cela sert leur cause; récusant la coutume quand leur intérêt le requiert, et se dressant contre la raison chaque fois que la raison est contre eux. Et c’est pour cela que la doctrine du juste et de l’injuste est perpétuellement disputée, tant par la plume que par l’épée, alors que la doctrine des lignes et des figures ne l’est pas; dans ce domaine en effet, quelle peut être la vérité, les hommes n’en ont cure, cor elle ne contrecarre l’ambition, le profit ou la concupiscence de personne. »

= Rappel
La justice a trois fins: la conservation de soi, l'ordre et son maintien, l'accomplissement du contrat.
Juste et injuste n'ont pas pour origine la loi mais le devoir et le droit du législateur.
Un fondement: le pouvoir absolu du souverain, sa toute puissance qui se réalise comme sagesse et son ordre qui devient justice.
Nécessité de la contrainte et de la sanction.


= Intérêts du texte
Pour la détermination de l'essence du politique: un point de vue politique sur la justice.
La justice est domination du plus puissant sur les plus faibles.
La réalité politique est un combat dans lequel chacun déclare haut et fort se battre pour une juste cause.

= Piste de lecture
Platon, République, I. Suivre la rhétorique de Thrasimaque: si l'on veut bien raisonner ce qui est avantageux pour le plus fort est toujours juste. Cerner le problème: la justice comme vertu est-elle possible si elle est infiniment coupée de ce qui se passe en politique et dans l'économie réelle?
D'où un nécessaire repli sur les coutumes, car ce qui est établi on ne l'examine pas.
Pascal: "Toutes les lois établies sont nécessairement tenues pour justes sans être examinées... puisqu'elles sont établies."
Pour approfondir:
Platon: Gorgias
Freund: L'essence du politique

= La stratégie de Hobbes
L'éternelle controverse vient de ce que le juste est tantôt réduit aux coutumes, tantôt déduit de la raison, selon l'avantage.
Si on laisse les hommes constituer le juste et l'injuste, on ne sortira pas de la guerre. Il faut un pouvoir qui par l'effroi contraigne chacun à observer la raison.

= Problème:
Comment se fait-il que les hommes n'arrivent pas à s'entendre sur la nature de la justice? S'ils l'ignorent, pourquoi ne reconnaissent-ils pas leur ignorance?
Peut-il y avoir un autre chemin que la contrainte? Rousseau?
CF Pascal: "Ne pouvant faire que ce qui est juste fut fort, on a fait que ce qui est fort fut juste." (Pensées, La justice et la raison des effets).

J. Llapasset