Ou encore:Peut-on tout tolérer?
La tolérance...

ou, la tolérance fait-elle le lit de l'intolérance?



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Commencer par bien distinguer: le concept (un outil) et l'idée (une reine):

Concept
Élément d'un jugement de connaissance, le plus souvent: ce avec quoi je prends: il rassemble des individus par des propriétés communes: il met en relation avec le sensible, avec des individus concrets (ex: l'arbre). Le concept a un pouvoir de présentation:
"Des pensées sans matière sont vides; des intuitions sans concepts sont aveugles" Kant Critique de la raison pure PUF p.76
"Le propre d'un concept est de nous mettre immédiatement en relation avec des individus concrets" D. Bourg Nature et technique, essai sur l'idée de progrès p.33 Coll. "Optiques" Hatier
En ce sens par le concept nous n'exerçons qu'un pouvoir de présentation: le concept est un outil, un serviteur, en aucun cas ce n'est un maître qui nous ferait agir car le concept n'est pas articulé à l'action: il s'épuise à prendre un donné qu'il ne maîtrisera jamais: en dernier recours il est passion, réception: on ne meurt pas pour des concepts, on les modifie.

Idée
...Ou de la passion à l'action:
C'est la forme intellectuelle d'un objet, un type d'être intelligible dont l'être sensible n'est qu'une imitation (bien saisir la différence avec le concept: alors que c'est le concept qui sera modifié, ici c'est le sensible qui sera modifié:
"Les idées les plus virulentes ont des aptitudes exterminatrices" E. Morin, La Méthode Seuil p.121
Poser un type d'être idéal c'est en effet juger le sensible et du même coup exiger sa transformation, pousser à l'action: l'idée a donc non seulement une force d'affirmation dans la représentation mais une force d'expansion qui, ne venant pas du sujet, le traverse et lui échappe, le maîtrise parfois, au point de l'utiliser pour s'affirmer dans les actions que le sujet aliéné effectue.

Qu'est-ce que la tolérance?

Ce n'est pas un concept articulé plus ou moins bien à un donné observable car la tolérance est aussi une action délibérée et voulue, ce que l'homme ajoute à la nature du spontané.
C'est une idée par rapport à laquelle un jugement pourra être porté sur des comportements (intolérance, fanatisme comme refus d'entrer dans les raisons d'autrui, refus du doute et du respect de la liberté).
Il semble nécessaire d'admettre toutes les manières de penser et d'agir différentes des nôtres sans pour cela aller jusqu'à les approuver.

Parce qu'elle a une valeur qui dévalorise le donné l'idée est en elle-même mouvement, force qui cherche à passer à l'être (se réaliser) en utilisant les forces physiques des individus. Autant dire que:
-l'idée n'est rien sans le désir ou la passion, lorsqu'un désir a envahi la conscience au point qu'elle n'est plus qu'une structure fixée:
L'idée de tolérance ne saurait donc être séparée de ce que serait son passage à l'être puisqu'elle est effort pour passer à l'être, pour régner, pour transformer dans le meilleur des cas, ou dans le pire, pour détruire, exterminer: si on meurt pour des idées ce n'est pas sans conséquences

Peut-on tout tolérer?

La formulation de la question montre que la tolérance n'est pas une simple représentation ("une peinture") et qu'il est impossible de distinguer l'idée de sa puissance d'expansion: autrement dit: la tolérance peut-elle passer dans la réalité sans contradiction qui la ruinerait ("peut-on"); Et le "tout" marque bien que l'idée par elle-même tend à devenir reine, à s'affirmer pleinement, dans et par tous ceux qui se "prennent" à la désirer (=aliénation).
Il faut et il suffit de suivre l'expansion de l'idée de tolérance pour pouvoir par le calcul produire la simulation formelle d'un parcours qui permettra de décider si la tolérance doit être limitée.
-Tolérer tout = tolérer les idées et leur manifestation dans l'action de transformation du donné = mettre toutes les idées sur le même plan = ne pas les distinguer par leur essence ou par leur conséquence = accepter l'intolérance, aussi = accepter l'intolérance c'est accepter la disparition de la tolérance => l'idée de tolérance totale est impossible car son expansion amène sa destruction.

Comment procéder? Est-il possible de distinguer...

- L'idée qui n'aurait pas la force de régner par elle-même?
- L'idée reine qui se réalise et aliène les individus qui suivent l'opinion.
Cela reviendrait à distinguer le domaine privé et le domaine public: alors que le domaine privé relèverait de l'autonomie, de la législation du moi, le domaine public relèverait de la loi qui, interdisant la violence, ne pourrait tout tolérer sous peine de disparaître. Difficultés: Comment séparer les deux domaines qui dans la réalité sont en interaction? Comment déterminer le domaine privé?

Par exemple, jusqu'à quel point une idée peut-elle être exercée sur des enfants?

Conclusion: même si la liberté et le respect nous engagent à tout tolérer, il y a incontestablement de l'intolérable: quand la maïeutique échoue, il reste la contrainte de la loi: la tolérance est une idée qui ne peut s'appliquer qu'à ceux qui la respectent.


Locke Traité de la Tolérance
Voltaire: Dictionnaire philosophique Garnier/Flammarion "Tolérance"
K. Popper: La Société ouverte et ses ennemis
E. Morin: La Méthode 4, Seuil