II) Par le travail nous gagnons notre humanité, la reconnaissance des autres,. Le gain du travail c'est donc la socialisation.


Le travail est, d'abord, un processus: un ensemble d'éléments qui s'enchaînent parce qu'ils sont organisés pour la production d'un monde humain, la transformation d'une nature, d'un milieu donné. Suivons ce processus, du désir, de l'invention d'une forme, de la réalisation, de l'apparition d'un produit, et marquons ce qu'il signifie: l'expression de la liberté et de l'intelligence de l'homme.

L'origine du travail c'est l'individu qui exerce sa liberté comme pouvoir de dire non au milieu donné, de nier la présence, et d'exiger que ce qui est absent devienne présent, de dire oui à ce qui n'est pas encore: ce manque éprouvé c'est le désir dans lequel la liberté de l'individu se pose, par lequel l'individu se transforme en sujet, en projet, en capacité de choisir une fin dans laquelle il se reconnaîtra. Alors que, devant la sécheresse, l'animal fuit vers un lointain point d'eau où l'attendent ses prédateurs, l'homme reste, refuse le milieu et le transforme selon son désir, en amenant l'eau là où il est, par un travail, par exemple un aqueduc.

L'invention d'une forme. Besoin et désir se conjuguent pour arracher l'homme à sa paresse naturelle: imagination et raison, pouvoir d'évoquer ce qui est absent et pouvoir de relier pour créer, s'accordent dans l'invention d'une forme: c'est avoir une idée comme forme intellectuelle d'un objet: concevoir ce qu'on ne voit pas.
Par cette représentation mentale d'une forme qu'il a créée, l'homme se distingue de l'abeille qui suit machinalement un programme, un instinct. C'est ainsi que, selon la profonde remarque de Marx, l'architecte le plus mauvais a construit la cellule dans sa tête. En inventant une forme qui est le moyen d'une fin l'individu manifeste sa liberté et son intelligence comme capacité de trouver ou d'inventer les moyens d'une fin.

La réalisation. c'est l'action de projeter, de réaliser à l'extérieur la forme mentale intérieure. Dans la réalisation l'individu nie à la fois le donné naturel intérieur (les appétits, les distractions...), puisqu'il se maîtrise en faisant attention, et le donné naturel extérieur, cette nature qu'il transforme en monde du désir. Par l'attention, il éprouve et prouve son "pouvoir moral"et par la production des outils il utilise son intelligence, l'outil étant un moyen, un médiateur entre lui et la nature.
Étant à la source du rythme de son action il échappe à l'immédiat et accède à la conscience réfléchie.

Le produit. Enfin, l'apparition de la forme, le produit du travail marque la fin du travail, de ce processus par lequel la conscience de soi s'est projetée dans l'élément de la permanence. En effet, dans son produit, l'homme découvre son humanité puisque le produit se révèle universel, tourné vers tous, utilisable par tout être humain: l'homme y reconnaît sa liberté comme pouvoir de marquer la nature du sceau de son humanité: il s'éprouve, rétrospectivement, comme une force éclairée par l'intelligence et l'invention, comme une origine et comme une liberté.

Concluons deuxième partie en affirmant que le processus du travail libère du donné naturel intérieur ou extérieur en le niant, qu'il est source d'humanité car il crée un monde commun fondement de l'intersubjectivité, des produits utilisables par tous à l'origine d'échanges, de relations: il exige des recherches, des inventions, des expérimentations, une culture produite puis enseignée.
Mais où trouver cette forme idéale dans une société où le travail est en miettes?


III) Où trouver cette forme idéale du travail?



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La negation de la nature (G. Bataille)"Je pose en principe un fait peu contestable: que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n'apporte pas de réserve. Il est nécessaire encore d'accorder que les deux négations que, d'une part, l'homme fait du monde donné et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, de chercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d'une mutation morale. Mais en tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation par interdits de l'animalité de l'homme." Georges Bataille, L'érotisme, 10/18.