Sujet très intéressant.
Scrutons les termes.

Notez le "je"= le sujet.
Comment serait un objet?!
Que faut-il entendre par "me"? Le "je", le "moi",le Soi?

Problème, question de la question:

Comment un sujet peut-il être objet?


Aide de Puech:
d'abord il faudrait que tu analyses les termes du sujet
Analyse du sujet: que peut-on savoir de soi?
«que peut-on »

marque à la fois une possibilité, une capacité et un droit. Ce que je peux, c’est ce dont je suis capable, dans les limites qui sont les miennes, mais c’est aussi ce dont j’ai l’autorisation (j’ai le droit de faire eci ou cela).

«savoir »

ce que je sais, c’est ce que j’ai appris, ce qui correspond à une instruction que je peux avoir reçu. Je sais où se trouve la capitale de la Colombie, je sais qui était Napoléon, comment résoudre une équation du second degré. Le savoir a une nature objective. Ce que j’ignore, sur ce même plan, c’est ce sur quoi je n’ai pas reçu une information suffisante, que je serais bien en peine d’expliquer, ce qui me contraint à faire un aveu d’ignorance. Le mot connaissance a un sens similaire, avec cependant une nuance : la connaissance est plus intimement lie avec soi. Le savoir peut nous rester extérieur, il peut-être sans incidence sur la vie : pour paraphraser Montaigne, une tête bien pleine, n’est pas nécessairement une tête bien faite. Ce qui importe, c’est que la connaissance descende dans la vie et la transforme, ce qui est connu est relié à soi, incorporé à soi.

«de soi »

le savoir de soi-même est connaissance de soi. La connaissance de soi est la compréhension de la signification du « je suis », la réponse à la question : « qui suis-je ? » L’objet de la connaissance de soi est le sujet lui-même, en tant qu’il est capable de s’appréhender dans ce qu’il a de propre et le différencie de ce qui n’est pas lui. Le Soi est le sujet pur, siège de l’identité. Le moi est le sujet psychologique siège des appartenances, le sujet qui rapporte tout à lui-même, l’ego de l’égocentrisme. La connaissance de soi diffère de la connaissance d’autrui, dans la mesure où le soi étant immédiatement présent, il peut-être connu de manière directe, tandis que dans la connaissance d’autrui, la connaissance directe est d’emblée un problème, s’il y a séparation des consciences .La connaissance de soi diffère aussi nécessairement de la connaissance des choses, puisqu’elle ne porte pas sur l’ordre de l’objet ou de la matière, mais sur l’ordre du sujet ou de l’esprit. Il s’ensuit que le concept d’objectivité valide dans l’ordre des choses n’y est pas applicable.

La connaissance de soi peut-être interprétée sur des plans très différents qu’il ne faut pas mélanger: 1) elle peut-être ramenée à la connaissance pratique de se soi, par exemple l’idée d’une évaluation de soi, de mes limites dans le sport, ou dans les capacités scolaires. Les tests d’évaluations en tout genre n’ont pour fonction que de mesurer une performance. Le test de QI mesure seulement une capacité de résolution de problèmes intellectuels, seulement l’intelligence abstraite (il ne dit rien de l’intelligence relationnelle, ni de l’ingéniosité pratique). Cette définition de la connaissance de soi reste pauvre. Connaître ce que l’on est c’est autre chose que de connaître ce dont on est capable. 2) elle peut-être ramenée à une connaissance empirique de soi-même : c’est par exemple la tentative pour cerne le caractère de quelqu’un par une classification dans un genre (sentimental, émotif etc.) ou le tempérament à partir de la constitution physique de la personne. 3) C’est aussi l’étude de la personnalité avec ses traits dominants liés à l’histoire personnelle de chacun. Chacun d’entre nous s’imagine d’abord être un « moi », une entité cachée au regard, abritée derrière les pensées, un moi avec ses préférences, ses goûts et ses dégoûts, ses tendances et ses peurs, ses refus et ses haines, un moi qui traîne derrière lui une longue histoire qui pèse sur le moment présent. 4) aussi est-on amené à identifier connaissance de soi et forme d’introspection, d’auto-analyse. Le journal intime, l’écriture autobiographique serait alors description de soi, élucidation du moi à travers le jugement porté sur soi. 5) d’où aussi une interprétation morale de la connaissance de soi dans l’examen de conscience réitéré. Se connaître reviendrait alors à se juger par rapport à un idéal. C’est de cette façon que le stoïcisme voit la connaissance de soi. Se connaître c’est discerner le personnage que l’on se donne, la vanité de notre existence pour mieux la transformer. La religion récupère aussi cette idée de connaissance de soi .6) La connaissance de soi peut aussi, en suivant une approche plus philosophique, être identifiée à la connaissance de la nature de l’esprit. Se connaître, c’est savoir ce qu’est l’esprit et comme l’esprit est présent à travers l’activité de la pensée, je puis me connaître en examinant ma pensée. En sondant la pensée Descartes découvre qu’elle enveloppe une certitude d’être la conscience de soi immanente au je suis. Le Soi appréhendé ainsi est appelé sujet transcendantal, le je, et il est distingué du moi empirique (celui qui fait l’objet de l’introspection, le moi condamnable pour ses travers, le moi qui veut tout posséder, le moi de l’avidité et du désir). C’est ainsi que Kant distingue l’appréhension empirique de soi (comme caractère tempérament etc.) dirigée vers l’ego et la conscience transcendantale de soi-même comme sujet auquel toute expérience vient se rapporter. Si on appelle connaissance de soi la connaissance du moi, elle diffère dont forcément de la conscience de soi.

Problématique:

La question posée comporte un implicite : on peut accède à un certain savoir sur soi, mais qui comporte une limite, il est admis que nous ne pouvons accéder 1à soit 1) qu’à une partie de nous-mêmes, la seconde restant irrémédiablement obscure, 2) ou bien qu’à une connaissance très étroite , notre savoir de nous-mêmes n’atteignant peut-être pas notre propre réalité, la connaissance de soi étant alors à peine effleurée. Le sujet nous demande ce qui peut-être connu et nous interroge sur la valeur de cette connaissance de soi qui nous est accessible. Il nous demande quel statut accorder à ses limites.

Il est possible de raisonner avec les positions les plus extrêmes. La thèse selon laquelle le sujet pourrait ne rien savoir de lui-même est assez difficile à justifier. Nous avons tout de même accès à nos pensées, nous sommes confrontés à un univers de relations qui nous retourne sans cesse l’image de ce que nous sommes. Une connaissance empirique de nous-mêmes nous est accessible pour peu que nous ayons le sérieux, l’intérêt, le sentiment de l’importance de la découverte de soi. Seulement, ce qu’il serait possible de retourner ici, c’est que même si nous avons un savoir de soi, celui-ci ne concerne que la sphère du conscient, et qu’il reste encore toute la frange de l’inconscient. Ce que la psychanalyse freudienne veut montrer, c’est qu’en raison des mécanismes de la censure et du refoulement, le sujet ne peut pas accéder directement à lui-même. Ce qui en lui est dominant - l’inconscient pour Freud et même l’inconscient lié à la sexualité - lui demeure caché, le savoir sur soi ne concernant que les données lacunaires de la conscience. Les processus psychiques sont pour Freud en eux-mêmes inconscients et connus de manière indirecte par le sujet. Ce qui est critiqué par là c’est la transparence de la conscience à elle-même. Freud entend démolir la suprématie du moi : le moi n’est pas le maître dans sa propre maison l’âme et ne connaît pas entièrement ses propre pensées. Si nous considérons que l’essentiel du psychisme, c’est l’inconscient (ce qui est caché passe toujours pour profond), alors nous serons tenté de dire que ce que nous pouvons savoir de nous-mêmes directement reste superficiel.

La thèse selon laquelle le sujet pourrait tout savoir de soi est tout aussi difficile à concéder. Si cela veut dire faire le tour complet de ce que je suis par le détail, on ne voit pas ce que voudrait dire une prétention aussi ridicule. Croire que l’on puisse en finir dans une « explication » avec le soi en le clouant comme un papillon dans une boîte est une naïveté. Le soi n’est pas une chose, ce n’est pas un objet mathématique qui se résumerait à une définition. Pourtant, si l’esprit est complexe, le sujet pensant n’est pas différent de ce qu’il pense et en tant que tel, nous devons bien avoir conscience de ce que nous sommes, il suffit de s’analyser pour le découvrir. L’esprit, explique Descartes, est plus aisé à connaître que le corps, car il est directement donné à lui-même. Pour autant que ce que je suis, c’est essentiellement ma subjectivité, un travail d’introspection doit pouvoir me révéler à moi-même. Mieux, une lucidité sans choix, sans condamnation, qui est une ouverture entière à ce qui vient dans le champ de la conscience peut dévoiler. Nous ne sommes pas ignorants au point de n’avoir pas conscience de nos propres difficultés intérieures, nos travers personnels : une attitude de gamin, une agressivité stupide, un cynisme caractérisé, une timidité maladive, une souffrance venue du passé qui ne se cicatrise pas etc. tout cela renaît dans nos pensées et dans nos réactions. Nous pouvons très bien regarder en face nos motivations et nos attitudes. C’est justement quand nous voyons en face notre stupidité par exemple que nous pouvons la dépasser. Si l’essentiel du psychisme, c’est le travail des intentions conscientes du sujet, alors ce que nous pouvons savoir de nous-mêmes directement est essentiel, la lucidité porte en elle un pouvoir de transformation, de conversion de la conscience.

Reste une possibilité : si le Soi est une pure Présence, s’il se tient dans le silence, au-delà de l’activité de la pensée, inaccessible au mental, car plus intérieur même que nos pensées, à ce moment là il est tout à fait possible que nos définitions, nos observation ne l’atteignent jamais. Je ne peux connaître que ce que je ne suis pas, ce que je suis, je peux seulement l’être. Toutes les définitions sont à rejeter, ainsi que toutes les limites : le soi est au-delà.