Vous vous désespérez, en ce début d'année de ne pas comprendre ce que signifie le terme opinion.

= Faisons un test: connaissez-vous le sens du verbe opiner?
En quoi consiste l'acte désigné par ce terme?
Si vous ne savez pas ce que signifie le verbe opiner, comment voulez-vous comprendre le sens de opinion, puisque l'opinion est produite par l'acte d'opiner. Tous ceux qui en première auront saisi les verbes, n'auront pas ce problème de compréhension, l'an prochain.
Pour comprendre ce que cela est, l'opinion, nous devons commencer par le verbe opiner.

OPINER

= Ce verbe suggère un consentement: on dit, on affirme ce à quoi on adhère en fonction de son affectivité (l'agréable et le désagréable), on donne un avis, sans prendre de recul par rapport au contenu de son affirmation: par exemple, "l'amour est aveugle", cette affirmation est produite par l'acte d'opiner.
Il y a donc toujours dans l'opiner une double affirmation:

D'une part ce que je vous dit est vrai et d'autre part, l'affirmation du contenu. Par exemple, "l'amour est aveugle, c'est vrai": cela revient à exclure l'esprit qui doute, bien que, on ne soit pas capable de rendre compte, de justifier ce que l'on opine.

D'où lui vient cette assurance de celui qui opine, s'il est incapable de justifier son dire?

D'une confusion entre la certitude d'être en train d'affirmer et la réalité de ce qui existe.

C'est que celui qui opine se sait de manière indubitable en train d'opiner, éprouve la réalité de son acte, sa pensée est réelle; mais il oublie que cette certitude ne rejaillit pas sur le contenu, la correspondance de ce qu'il dit avec la réalité de ce qui existe. Mais, d'une simple pensée à l'existence dans la réalité de ce qui est pensé, il y a un fossé que seule une enquête pourrait combler. Par exemple, si j'affirme que Dieu est bon, en un sens je ne peux douter de la réalité de cette affirmation, j'éprouve la certitude d'être en train d'affirmer que Dieu est bon. Mais de cette pensée je ne peux déduire que Dieu est bon en réalité. D'une pensée on ne peut déduire l'existence .

Or l'opinion est produite par un acte qui se dispense d'établir la rectitude du contenu, de ce qu'il affirme. C'est que l'opinion confond la réalité éprouvée d'une pensée et la réalité effective d'une existence.

Celui qui opine ne s'appuie en effet que sur l'évidence de ce qu'il voit.
Ainsi celui qui affirme "l'amour est aveugle" a entendu des amoureux transformer les défauts de celle dont il est amoureux en qualités!
Aux yeux de l'observateur "objectif, elle a un caractère épouvantable, aux yeux de l'amoureux, elle a du caractère, une personnalité.
Celle qui paraît immense, c'est une déesse. Celle qui est mal vêtue, c'est une beauté négligée, d'autant plus désirable. Celle qui est grasse, est appétissante.

Lorsqu'on opine que l'amour est aveugle, il faut bien reconnaître que cette opinion a une part de vérité, elle est droite, elle est quelque part ajustée à l'expérience sensible.

Effectivement l'amoureux semble aveugle aux défauts de l'être aimé, mais l'opinion garde quelque chose de la réalité (la taille, la négligence dans l'habillement, la rondeur).
Mais si on lui demande pourquoi, celui qui opine reste bien embarrassé, il s'étonne, dans le meilleur des cas, il va découvrir que son affirmation, son opinion, son assurance, masquait une ignorance qu'il ne s'avouait pas, qu'il ne reconnaissait pas comme ignorance.

Ce qui lui manquait c'était une connaissance intelligible que lui aurait donné un raisonnement vigilant, une enquête.

On comprend que opiner c'était d'une certaine manière dire non à la science. L'opinion s'oppose donc à la science.

OPINION

= L'opinion se présente en effet comme définitive, ce sur quoi, dans l'instant, on ne reviendra pas. On changera d'opinion en fonction de l'affectivité, des besoins et des désirs qui apparaîtront. Par exemple, l'amoureux dira "l'amour est lumière" qui permet d'accéder à la vérité (= autre opinion). Il y a changement, mais dans l'opinion, on change simplement d'affirmation. On va d'une affirmation péremptoire à une autre affirmation péremptoire, on ne progresse pas, on traduit simplement ses besoins et ses désirs en connaissance. C'est comme si on disait chaque fois: aujourd'hui ça me va bien, étant donné ce que je désire, que l'amour est aveugle.
Pour peu que l'on devienne amoureux on changera d'opinion en fonction du désir nouveau: on opinera l'amour est lumière...

= Au contraire, quand un chercheur émet une hypothèse ou utilise une loi, c'est toujours avec l'indice: il est possible d'en douter. Cette affirmation provisoire se fait jusqu'à preuve du contraire, et l'expérimentation est toujours envisagée. L'ambiance de la science c'est donc le provisoire. Elle aussi change son discours, mais elle le change en fonction d'un raisonnement vigilant c'est à dire des théories et des expérimentations d'une époque, au point que la physique d'une époque c'est simplement l'ensemble des théories et des expérimentations de l'époque.

Alors que celui qui opine ne sait pas qu'il ignore, la science le sait: elle sait qu'elle progresse grâce à des erreurs rectifiées: ses affirmations sont toujours ouvertes au doute.
Bien entendu, le chemin de la science est difficile. l'humilité est la vertu du chercheur. En ce sens Jean Rostand écrivait qu'il se levait chaque matin pour assurer ses ignorances (les théories qu'il espérait bien rectifier en fonction de l'expérimentation et de l'observation).

= C'est donc parce qu'elles se présentent comme définitives, qu'elles sont pour ainsi dire toutes mâchées, qu'elles s'offrent ainsi à la paresse, que les opinions sont préférées dans un premier moment à la science: la croyance rassure, la recherche inquiète. On se repose sur une opinion déjà prête. Celui qui opine se ferme au doute libérateur, se ferme à l'enquête: comme une huître, il adhère au rocher.