TOI, QUE J’AI TANT AIMEE
(à ma fille Ruth)

La douleur, me dis-tu, t’envahit –tyrannique-
Tous nos secrets d’antan et nos désirs cupides
T’ont nourrie, jusqu’au deuil, d’un émoi despotique
Et ton cœur s’est rempli de haine infanticide.

Toi qui fus mon écrin, mon joyau, ma ferveur,
Je ne peux m’empêcher de te revoir enfant :
Si espiègle et mutine et encline au bonheur,
Toujours prête à bondir, gambader tel un faon.

Ton fardeau, aujourd’hui, à tes yeux est si dense,
Ton espoir s’est tari quand l’amour t’a quittée
Et tu erres, blessée, sur un chemin immense
Où ton âme égarée ne sait plus où aller.

Ton corps martyrisé, offensé, inutile,
Aimerait tant muer et renaître à nouveau,
Oubliant la souillure innommable et servile
De la duplicité dont tu fus le pivot.

Dépouillée de ta fougue et de toute jouvence,
Ton regard est troublé par un attrait perfide :
Abusée et dupée, flouée en connivence
De fourbes menteries en sermons insipides.

Toi qui fus, autrefois, l’adulée messagère
Qui savait assouplir en prônant la constance,
Si le temps nous dédit des douceurs printanières,
Toi, que j’ai tant chérie malgré ce que t’en penses,

Tu fus toi ! Tu es toi ! Tu resteras toi-même !
Peu importe alors si l’idéal semble vain :
Au-delà des secrets, des arcanes sans fin,
Si tu louvoies encor… n’oublie pas que je t’aime !

(c) extrait de LES FUGUES DU TEMPS