C'est un jardin secret caché par les figuiers
au pied d'un mur de pierres aveugles et chaudes
rassuré de soleil, amidonné d'abeilles,
de buisson de mûres lourds de silence et de miel
farouches protecteurs du fruit de leur bonheur.

L'air y surnage dans le suc entêtant des fleurs
troupeaux ébouriffés de chèvrefeuilles vanille
grappes de glycines courbant l'échine sous l'angélique de leur mauve
iris impudiques, frémissantes invitations à leurs orgies de velours sombre
aiguilles de pins crissant sous les pas, nectar des figues éclatées.

Au centre, un grand sapin sombre et ancien
aux longues branches vénérables
gardien de vie, maître de paix
dans l'exubérance de la terre sauvage
dans la moiteur de ses haleines d'ivresse.

Ce jardin est le mien, au coeur de ma maison
moi seule en ai la clef
je m'y promène à volonté en faisant patte de velours
en respirant tout doucement
car cet endroit détient le coeur de ma raison.

Parfois, il devient fou, la tourmente menace
une nuit sans couleur remonte des racines
l'air y devient hostile, le vent gronde de peur
la terre même palpite, spongieuse, gonflée de sa folie.

Et dans la déraison des tourments déchaînés
je bascule, vaincue par l'alcool saturé des fleurs en fièvre.

C'est mon jardin, semé de graines empoisonnées
superbes et dangereuses, précieuses, chavirées
mon fouillis de sens exacerbés sécrétés dans la douleur
c'est mon désordre, c'est ma joie
mon soleil toujours neuf, éblouissant de chaque pluie
dans le calme retrouvé de la terre profonde.