De quoi s'agit-il donc précisément dans ce discours? de marquer dans les progrès des choses, le moment ou le droit succédant à la violence, la nature fut soumise a la loi; d'expliquer par quel enchainement de prodiges le fort pu se résoudre a servir le faible, et le peuple a acheter un repos en idée, au pris d'une félicité réelle.
Les philosophes qui ont examiné les fondements de la société ont tous senti la nécessité de remonter jusqu'a l'état de nature, mais aucun d'eux n' est arrivé. Les uns n'ont point balancé a supposer a l'homme dans cet état la notion du juste et de l'injuste, sans se soucier de montrer qu'il dut avoir cette notion, ni même qu'elle lui fut utile. D'autres ont parlé du droit naturel que chacun a de conserver ce qui lui appartient, sans expliquer ce qu'ils entendaient par appartenir, d'autres donnant d'abord au plus fort de l'autorité sur le plus faible, ont aussitôt fait naitre le gouvernement, sans songer au temps qui dut s'écouler avant que le sens des mots d'autorité et de gouvernement put exister parmi les hommes. Enfin tous, parlant sans cesse de besoin, d'avidité, d'oppression, de désir et d'orgueil, ont transporté a l'état de nature des idées qu'ils avaient prises dans la société. Ils parlaient de l'homme sauvage, et ils peignaient l'homme civil. Il n'est pas même venu dans l'esprit de la plupart des nôtres de douter que l'état de nature eut existé, tandis qu'il est évident, par la lecture des livres sacrées, que le premier homme, ayant reçu immédiatement de Dieu des lumières et des préceptes, n'était point lui-même dans cet état, et qu'e ajoutant aux écrits de Moise la foi que leur doit tout philosophe chrétien, il faut nier que même avant le déluge, les hommes se soient jamais trouvés dans le pur état de nature, a moins qu'ils n'y soient retombés par quelques événements extraordinaires. Paradoxe fort embarrassant a defendre, et tout a fait impossible a prouver"
Sur un entretien aves Monsieur Besnier , dans la prestigieuse revue, Sciences et Avenir