Revue Entropia: Trop d’utilité ?

Tandis que s’étrécit le champ des possibles en partage, le trop excède en tout : trop d’injustices, trop d’insignifiances, trop de violences, de crises écologiques et de désastres sociaux…
Cette situation ne serait-elle pas en relation paradoxale avec l’importance démesurée accordée à l’utilité ? L’utilitarisme est une doctrine - née en 1827 - selon laquelle l’utile est le principe de toutes les valeurs, dans le domaine de la connaissance comme dans celui de l’action.

Cette peste moderne a conduit l’espèce humaine au bord du gouffre. Confondant le nécessaire et l’utile, elle ampute l’être humain des registres de la gratuité, de l’inutilité et de la sensibilité de la pensée qui sont pourtant les signes universels de sa singularité plurivoque. Elle mutile tous les rapports sociaux en les soumettant aux diktats de la marchandise. On peut avancer que, par nombre de ses aspects, l’idée de décroissance est née d’un sursaut de rébellion contre cet égarement.

Depuis sa création, en 1981, le MAUSS - Mouvement Anti-utilitariste dans les Sciences Sociales - a exploré le terrain d’un anti-économisme effectif. Sans renier cette filiation parmi d’autres, l’objection de croissance a choisi de radicaliser l’analyse et de bouleverser l’offre théorique et politique face à une crise anthropologique sans précédent.

La discussion de famille engagée entre ces deux mouvements d’idées se devait de devenir publique. Serait-ce, là, une autre façon d’oser ranimer le vieux débat entre réforme et révolution ?
L'utilitarisme fait effectivement du concept d'utilité une valeur cardinale, mais ce concept, quel est-il ?
Pour un non-philosophe, l'utile est ce qui est fonctionnel, par exemple un objet qui accomplit le plus de tâches ou du mieux possible. Mais l'utilitarisme ne dit pas cela. Dans l'utilitarisme, l'utilité est ce qui engendre le plus de bien-être pour le plus grand nombre.
Curieusement, l'article ne définit pas le concept (dont la définition est pourtant extrêmement importante, surtout quand on s'adresse à des non-philosophes) !
Pire encore, il ne dit même pas de quel utilitarisme il s'agit. La critique esquissé ici semble s'attaquer à la realpolitik, la politique du pur résultat quantifiable. Cette politique provient d'une interprétation de l'utilitarisme, certes, mais y amalgamer l'utilitarisme des penseurs est une erreur. De quel utilitarisme parle-t-on ? Est-ce celui de Bentham et de Mill, celui de Hare (utilitarisme des préférences), de Godwin (pour qui l'impartialité doit être totale), de Sigdwick ? Celui des politiciens anglo-saxons du début du XXème siècle ? De la realpolitik ?
L'utilitarisme présente une large quantité de divergences et d'interprétations. Avant de s'attaquer à lui, il faudrait encore dire de quel utilitarisme on parle.

En un mot : de quoi est-il question ?

Les gens du MAUSS semblent non seulement confondre l'utilité au sens benthamien avec l'utilité au sens habituel, mais plus encore, ils assimilent tous les courants de pensée de l'utilitarisme et toutes les interprétations qu'on en a faites à une position unifiée... Position qui n'est même pas définie.
A croire que le MAUSS ne sait même pas ce qu'il critique. Quand on s'érige en défenseur des "bonnes" valeurs contre l'utilitarisme, la moindre des choses serait tout de même de connaître ce qu'on critique. Les gens du MAUSS auraient-ils été plus pressés de se faire mousser que de se renseigner sur la définition du concept qu'ils avaient décidé de cibler ?
Il y a tant de journalistes, de "sociologues" ou d'intellectuels en carton qui utilisent des concepts sans connaître leur signification que ç'en devient lassant.

(Note : peut-être l'article de la revue Entropia fait-il un résumé beaucoup trop bref de la position du MAUSS. Dans ce cas, ce qui est dit ici ne vaut que contre la revue et non contre le MAUSS.)