Pour prouver métaphysiquement la liberté, il suffit, sans s'embarrasser de tous les arguments philosophiques ordinaires, d'établir qu'elle est une possibilité, puisque le possible et le réel sont métaphysiquement identique.
Pour cela, nous pouvons d'abord définir la liberté comme l'absence de contrainte : définition négative dans la forme, mais qui, ici encore, est positive au fond, car c'est la contrainte qui est une limitation, c'est-à-dire une négation véritable.
Or, quant à la Possibilité universelle envisagée au-delà de l'Être, c'est-à-dire comme le Non-Être, on ne peut pas parler d'unité, comme nous l'avons dit plus haut, puisque le Non-Être est le Zéro métaphysique, mais on peut du moins, en employant toujours la forme négative, parler de "non-dualité" .
Là où il n'y a pas de dualité, il n'y a nécessairement aucune contrainte, et cela suffit à prouver que la liberté est une possibilité, dès lors qu'elle résulte immédiatement de la "non-dualité", qui est évidemment exempte de toute contradiction.
Maintenant, on peut ajouter que la liberté est, non seulement une possibilité, au sens le plus universel, mais aussi une possibilité d'être ou de manifestation ; il suffit ici, pour passer du Non-Être à l'Être, de passer de la "non-dualité" à l'unité : l'Être est "un" (l'Un étant le Zéro affirmé), ou plutôt il est l'Unité métaphysique elle-même, première affirmation, mais aussi, par là même, première détermination.
Ce qui est un est manifestement exempt de toute contrainte, de sorte que l'absence de contrainte, c'est-à-dire la liberté, se retrouve dans le domaine de l'Être, où l'unité se présente en quelque sorte comme une spécification de la "non-dualité" principielle du Non-être ; en d'autres termes, la liberté appartient aussi à l'Être, ce qui revient à dire qu'elle est une possibilité d'être, ou, suivant ce que nous avons expliqué précédemment, une possibilité de manifestation, puisque l'Être est avant tout le principe de la manifestation.
René Guénon : - "Les Etats multiples de l'Être"-, ch. XVIII (extrait).