Bonjour Soukoun,
Mais dans ce cas là, Olivier, comment conçois-tu la naissance du langage et son lien à la pensée. A-t-il été tout d'abord nécessaire de penser pour parler?
Le langage est représentationnel, significatif. Par conséquent, oui, je pense que l’idée a précédé le concept comme l’action a précédé le verbe. Avant de conceptualiser « chasser », encore fallait-il chasser (et donc avoir une idée de la signification à donner au mot)
Comment dès lors penser une chose sans en avoir le mot?
On dit que quelque chose existe quand on l’a nommé… mais je pense aussi qu’on peut réduire le langage à la communication (désolé pour le méga raccourci) et que la communication a pour base le signe (corporel, linguistique, manuscrit, figuratif ou abstrait…). Le mot appartient au langage, oral et écrit, mais il y a sûrement d’autres façons de penser quelque chose sans en avoir le « mot » ?
Sans langage il n'y aurait qu'un rapport immédiat à la réalité et toute ma connaissance du monde serait constituée d'expériences singulières et privées. Je ne pourrais parler d'une fleur, j'évoquerai nécessairement cette fleur-ci rencontrée en ce lieu précis à cet instant précis.
Immédiat signifie « sans media », donc un accès direct. Mais c’est faux : pour voir la fleur tu utiliseras au moins la vue, qui est un medium aussi (avec ses limites, sans compter le rôle du cerveau dans la perception de notre environnement). Pour acquérir en toi une information extérieure à ton être il te faut un medium…je crains qu’on n’y échappe pas.
Déjà un premier constat, du fait que je n'invente pas mon vocabulaire mais le reçoit d'une communauté linguistique et d'une tradition, il s'ensuit que la très grande majorité des idées qui constituent ma pensée et l'expression de ces idées sont issues d'une construction artificielle. Le langage n'est de ce point de vue pas un simple instrument, car il est porteur des idées qui vont déterminés la possibilité que j'ai de penser ou de ne pas penser tel ou tel genre de phénomène. Le langage anticipe le sens du monde dans lequel je m'inscris.
Je ne suis pas sûr d'être très clair. Me suis-tu?
Complètement, je trouve même que tu t’en tires bien pour écrire ce genre de chose. Je suis globalement d’accord avec ce que tu viens d’écrire : notre vision (et compréhension) du monde dépend des concepts que l’on peut y appliquer (soit : des représentations que l’on en a). Pour les indiens Hopis, « flamme » est un verbe… autant te dire que je peux absolument pas imaginer comment ces personnes perçoivent un feu de camp !
Orwell avait très bien illustré le rôle des noms dans 1984… et Nicolas Machiavel en avait aussi souligné l’importance pour les nouveaux tenants du pouvoir de renommer les choses. C’est aussi tout l’intérêt de bien sélectionner les penseurs « officiels » et autres intellectuels qui vont fournir ces outils de compréhension ciblés (je parle surtout des siècles passés, on a peut être les moyens de changer de son de cloche à notre époque).