Bonjour à tous,
Voila, je viens de lire l’interview donnée par Jean Baudrillard au magazine chronic’arts et je souhaitais vous en faire part pour savoir ce que vous en pensiez. Afin de respecter les droits d’auteur, je ne pourrai pas le retranscrire très exhaustivement l’interview, mais vous trouverez le lien en fin de message pour pouvoir mieux réfléchir dessus.
Voila l’intro :
Pour Jean Baudrillard, l'éradication du Mal que représente aujourd'hui le terrorisme sous toutes ses formes, y compris dorénavant dans l'imaginaire collectif la catastrophe naturelle, est vouée à l'échec. Car cette contre-terreur, nouvel alibi de l'"axe du Bien" (l'Occident) en lutte contre un hypothétique "axe du Mal" nous entraîne vers une issue plus néfaste encore, celle d'une apocalypse du Bien. Autrement dit, le Mal absolu.
Ce qui est intéressant dans ses premiers commentaires, c’est qu’il met en avant une inversion des valeurs, rappelant que l’Occident se pare des couleurs du Bien et agit en son nom sans voir que dans ses excès, parfois dans son absurdité, il produit aussi une réversion qui le transforme en son exact contraire. En extrapolant, on peut constater notre manière d’agir dans le monde à l’heure actuelle et les contestations toujours plus nombreuses à l’égard du représentant n°1 de l’Occident, les USA qui campent sur une position presque « chevaleresque » sans prendre conscience des relents finalement méprisants qu’ils inspirent au reste du monde…
Plus loin, Jean Baudrillard recadre la terminologie actuelle de certains dirigeants :
C'est un Mal que la société a généralisé, qu'elle a absolutisé. Le concept clé est celui de "l'axe du Mal". On l'a découvert comme axe, c'est-à-dire comme une espèce de conjuration maléfique, pas seulement morale cette fois […] Mais on le projette sur le Mal, on crée un axe du Mal imaginaire pour mieux justifier l’axe du Bien, ce qui est une erreur stratégique. Car lorsqu’on cherche à viser le Mal en son axe introuvable, quand on le combat militairement, en frontal, on ne peut que le manquer.
De son point de vue, la notion d’« axe du mal » tient plus d’une volonté des dirigeants « du bien » de justifier leurs agissements, de définir ce contre quoi ils engendrent ces souffrances.
Or la puissance mondiale, celle de l'Occident – au-delà des Etats-Unis qui en est l’archétype -, n'a pas de réponse symbolique au terrorisme. Car le terrorisme met en jeu sa propre mort dans ses actes de destruction suicidaire. La puissance mondiale ne peut pas répondre à ce désir de mort par la mise en jeu de sa propre mort. Elle répond, au nom du Bien contre l'axe du Mal, par l'extermination physique, militaire…[…] Depuis peut-être un siècle, l'Occident a travaillé à la dégradation de ses propres valeurs, à les éliminer, à les abolir. Abolir tout ce qui fait que quelque chose, quelqu'un ou une culture a une valeur.
Ne peut-on comprendre alors l’apparente impuissance de nos sociétés à combattre ses fléaux ? La pensée libérale et le système capitaliste ont sans nul doute fait considérablement avancer l’humanité, ils ont engendré nombre de mouvement de libération, aboli l’esclavage, augmenté l’espérance et le niveau de vie, donné accès à l’instruction, ont libéré l’Homme de ses préjugés religieux, familiaux dans un but égoïste clairement mentionné dès Adam Smith. Mais ne peut-on aussi constater qu’en cassant ce qui a permis à l’humanité d’arriver jusqu’ici, on aboutit aux familles éclatées, à l’individualisme forcené, à la culture de son ego, à l’oubli des personnes âgées, à la professionnalisation du système éducatif, à la rationalisation de la vie, au désenchantement du monde, … J’ai lu une fois que si le monde entier vivait selon le modèle américain, les ressources de la terre seraient épuisées en 7 ans !!! Désire t’on réellement amener ce modèle à l’ensemble de la planète ? Non, c’est impossible, et pour que ce système marche encore pour nous, il nous faut maintenir les autres pays dans leur situation actuelle. On voit déjà que l’ouverture de la Chine fait trembler l’Occident… alors qu’ils ne font que reprendre nos propres recettes !
Mais je m’éloigne du sujet. Donc, peut-être que cet alibi dont se réclame l’Occident à combattre les forces du mal le renvoie à sa propre « déchéance » (toute proportions gardées), à ses propres problèmes qui le pousse à une démarche « jusqu’auboutiste » dans le but de se maintenir au même niveau aberrant dont la survie tient à la globalisation de ses propres abus ? Le seul et très gros problème qui se profile et qui est mentionné est donc que cette fois-ci il s’attaque à une chimère, sans corps, sans position géographique, reflet terrifiant des évolutions de nos sociétés de l’information et des réseaux…
L’Occident ayant détruit ses propres valeurs, il se retrouve au degré zéro de la puissance symbolique, et par une espèce de retour, c’est ce degré zéro qu’il veut imposer à tous […] Le terrorisme met en jeu la mort des terroristes, geste d’une puissance symbolique énorme, et l’Occident lui répond par son impuissance totale.
En fait, il développe l’idée selon laquelle toute lutte contre le système est quasi-impossible car il assimile tout, même les mouvements contestataires. A qui profite le système qui se met globalement en place ? Sommes-nous victimes ou complices ? A la fois coupables et irresponsables ? Le pouvoir n’a plus de lieu, plus de représentants, même le G8 se balade d’années en années dans le monde, symbole de l’impossibilité à localiser le nouveau pouvoir : pour qui décident les dirigeants qui se réunissent ainsi ? Pour leur pays ? Pour les patrons ? Pour les industriels ? Pour les multinationales ? Pour les gens ? Pour tout ça en même temps ? Baudrillard met en évidence la grave problématique d’une hégémonie sans nom ni visage : notre rapport au pouvoir a changé et l’espèce d’impuissance à réagir engendre cynisme et ironie quant à la grande mascarade dont nous sommes chaque jour témoins. Pire : on vit les changements, on les subit, mais personne ne sait vraiment ce que servent ces changements, qui décide et surtout quelle est la finalité à tout ça.
Qui penserait se soulever ? Contre quoi ? Contre qui ? Et pour faire quoi d’autre ? Quelles seraient les alternatives ? L’extrême difficulté à envisager autre chose ou à répondre humainement à ces questions reflète ce caractère d’impuissance propre à notre époque. Nous allumons la télé et constatons l’aberrant, nous demandant quelle est la finalité d’une société humaine qui envisage même sa propre destruction ne serait-ce qu’en s’en donnant les moyens ! On cultive la peur, on fait naître l’insécurité chez les gens pour mieux les contenir, pour anesthésier les velléités rebelles et on leur donne la société des loisirs, du spectacle, négociant l’impunité contre un confort rassurant que les gens ont trop peur de perdre pour ne pas se retrouver face à la triste réalité d’une vie sans qualité…
Baudrillard revient sur cette notion d’impuissance, de contrôle sans nom ni lieu :
Oui, on est en plein dedans. L'ère de l'hégémonie c'est celle du Cyber système. Ça gouverne, ça régule, mais ça ne domine pas. Il n'y a plus d'exploités ou de dominés, c'est autre chose, c'est beaucoup plus difficile à prendre à revers. C’est plus difficile à critiquer aussi, car la pensée critique est dès lors dévitalisée. Elle est absorbée, comme une victime par ailleurs condamnée à s’exprimer dans le vide, sinon à se vider elle-même de toute substance…
L’idée soulevée est que nous sommes dépassés par le système que nous avons mis en place. A force de trop l’imbriquer dans tout et pour tout, à force d’une trop grande dépendance vis-à-vis de lui, on est comme aspiré par le vide qu’il créé lui-même devant lui, comme un vortex, le rendant incontrôlable. On ne le détermine plus mais on agit en fonction de ses déterminants, la fin est connue et c’est comme si l’on n’y pouvait rien à par constater ce qu’il produit. Comme il le dit : « C’est le vertige, non pas des conditions initiales, mais des conditions finales ».
Finalement, c’est de l’évolution même de l’Homme dont il est question. Cette espèce de direction que nous prenons presque malgré nous nous mènera t’elle à un changement de perspective ? Que sera l’homme du futur tel que nous contribuons à le définir à notre époque ? Poursuivre une évolution dans l’artificiel et le virtuel tel que nous en définissons les grandes lignes actuellement ? Mais qu’est ce qui fait l’humanité de l’Homme ? Doit-on se battre pour un respect et un développement de notre genre ou répondre à nos déviances par l’éradication de notre dimension symbolique ? Comme se le demande Baudrillard,
« La question est de savoir si on attache une valeur symbolique forte à l'espèce humaine en tant que telle »…
Il s'agit plus ici de l'anéantissement que de la disparition. Disparaître, c'est tout un art. Là, je parlerais plutôt de l'extermination, du moins de l'espèce dans sa spécificité, de l'Humain dans sa définition. L’espèce humaine a duré ce qu'elle a duré, mais elle a vécu. Je ne dis pas ça pour nier rétrospectivement toutes ses valeurs, elles ont eu leurs principes, leur raison d’être, leur âge d'or. Seulement aujourd'hui ces valeurs sont inversées.
A ce point là, je vous conseille de lire l’interview en entier :
http://www.chronicart.com/mag/mag_article.php3?id=1306
Pour résumer la problématique du topic :
Pensez-vous qu’à force de faire du mal au nom du Bien pour lutter contre un « Mal » soi-disant localisé, notre société désagrège petit à petit ce qui faisait encore leur différence* ? Et quelle peut être la portée d’une possible indistinction entre ces deux notions fondamentales, bases essentielles des actions de l’Homme ?
*entre le Bien et le Mal
Ciao