Salut Olivier,


Ce mécontentement, par ailleurs ressenti par la grande majorité de la population toutes classes confondues, reste relatif à mon sens. Sa légitimité se fonde sur la recherche d’un bien-être personnel. Aussi, je ne perçois en rien dans ce ras-le-bol général lié aux réalités économiques un quelconque moyen de s’extraire du chao dans lequel la planète se trouve.


Oui, d’accord, je comprends ce que tu veux dire… effectivement ça restera une remise en question individuelle, ponctuelle, quand une situation engendrera ce sentiment, ça n’est pas généralisable à une réflexion plus globale sur des questions de fond…
Je commence à avoir une idée plus précise, oui… je comprends que tu peux te baser sur ton expérience, ce qui est encore plus douloureux j’imagine que théoriser à partir de quelques exemples…

Douloureux pas forcément, je dirais plutôt lucide ou choquant lorsqu’on se retrouve de plein pied dans une réalité qu’on n’envisageait même pas et qui de surcroît concerne la majorité de la population. Bref ! Lointain est le nid douillet de la Fac et même après quelques années, on apprivoise, on tente d’agir mais on ne s’y habitue pas …. Une question revient : Comment est-ce possible ? Comment le monde peut-il être si inégal et injuste ? Tu me diras, le monde a toujours tourné ainsi….

Un monde esclave de la pensée matérialiste, en permanente insatisfaction….Et pourtant, ces jeunes ne sont pas inintelligents, ni même exempts de réelles qualités. C’est d’ailleurs ici que se fonde ma lueur d’espoir…. Bref, le nœud du problème est de cet ordre. Tant que l’on n’aidera pas ces personnes à ôter leurs ornières, le monde continuera à tourner à l’envers. Tant qu’ on ne leur offrira pas l’opportunité de se construire un véritable « sens critique » expression de la liberté, les injustices perdureront. Ceci dit, peut-être y a-t-il, dans la logique capitaliste, un certain intérêt à entretenir cet état de fait ? Pourtant qu’avons-nous vraiment à gagner dans ce phénomène ?

Un intérêt à maintenir cet état de fait ? Je vais te dire ce que Jean-Claude Michéa rapporte dans son livre « L’enseignement de l’ignorance » (p.47), je te laisse seule juge :

« C’est ainsi, par exemple, qu’en septembre 1995, sous l’égide de la fondation Gorbatchev, « cinq cents hommes politiques, leaders économiques et scientifiques de premier plan », constituant à leurs yeux l’élite du monde durent se réunir à l’Hôtel Fairmont de San Francisco pour confronter leurs vues sur le destin de la nouvelle civilisation. Etant donné son objet, ce forum était naturellement placé sous le signe de l’efficacité la plus stricte : « des règles rigoureuses forcent tous les participants à oublier la rhétorique. Les conférenciers disposent tout juste de 5 minutes pour introduire un sujet : aucune intervention lors des débats ne doit durer pus de 2 minutes ». Ces principes de travail une fois définis, l’assemblée commença par reconnaître – comme une évidence qui ne mérite pas d’être discutée – que, « dans le siècle à venir, deux dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale ». Sur des bases aussi franches, le principal problème politique que le système capitaliste allait devoir affronter au cours des prochaines décennies put donc être formulé dans toute sa rigueur : comment serait-il possible, pour l’élite mondiale, de maintenir la gouvernabilité des quatre-vingts pour cent d’humanité surnuméraire dont l’inutilité a été programmée par la logique libérale ?
La solution qui, au terme du débat, s’imposa, comme la plus raisonnable, fut celle proposée par Zbigniew Brzenzinski* sous le nom de tittytainment. Par ce mot valise, il s’agissait tout simplement de définir un « cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète ». Cette analyse, cynique et méprisante, a évidemment l’avantage de définir, avec toute la clarté souhaitable, le cahier des charges que les élites mondiales assignent à l’école du 21ème siècle.


(*ancien conseiller de Jimmy Carter et fondateur en 1973 de la « trilatérale », club encore plus impénétrable que le Siècle et qui regroupait en 1992 environ 350 membres américains, européen et japonais et qui constitue un des lieux où s’élaborent les idées et stratégies de l’internationale capitaliste).


Très parlant en effet…………..et quelque part malheureusement pas très surprenant.

Oui tout à fait. D’ailleurs, c’est bien un des principaux problèmes à l’heure actuelle, l’absence d’alternative, l’absence de confrontation avec un autre système comme tu le dis justement. C’est aussi ça qui effraie, à terme, il n’y aura plus d’espace différent, tout sera soumis au même système, partout. Définition de la mondialisation. C’est cette espèce de direction unilatérale, sans autre option qui a mené certains à prophétiser « la fin de l’Histoire ». On sait, plus ou moins, où on va, mais tout le monde est voué à y aller, il y a de moins en moins… « d’échappatoire » en quelques sortes, on se conforte dans une direction dont on connaît quelques conséquences, mais on est « piégé » dedans, il n’y a ni contrepoids, ni alternative et on s’attache à gommer les quelques espaces encore différents. Alors qu’il faudrait au contraire valoriser celles-ci.


A propos des « avantages à tirer de ce culte de l’individu », peut-être, je ne sais pas. Mais il me semble que le plus grossier glissement de valeur que cela opère s’attaque à un des fondements de l’homme : si avant on se demandait « qui on était » (pas texto, mais cette question renvoie à moult comportements ou réflexions que l’on peut avoir de sa vie et de soi-même), aujourd’hui la question par excellence est « de quoi ai-je l’air ? », car, malheureusement, le culte de l’individu n’implique pas de questionnement de fond, la forme peut suffire.

Ok, je parlais en effet d’une recentralisation sur ces questions de fond. Il est évident que le culte de l’apparence, à l’inverse, soit stérile sinon avilissant.


Quant à jeter un pont entre culte de l’individu est approche scientifique, je ne serai pas aussi compréhensif, le culte de l’individu s’attache à l’homme qui s’intéresse beaucoup à lui-même, et pas forcément en profondeur donc, alors que les sciences ont pour sujet l’Homme, il n’y aurait guère que la psychologie pour prendre en considération la dimension égocentrée d’une réflexion superficielle sur soi-même. Leur enseignement peuvent certes nous renseigner sur la nature de l’homme, mais le culte de l’individu appartiendrait, de mon point de vue bien sûr, à une dimension culturelle, on adopte ce point de vue égocentré parce que c’est un modèle culturellement diffusé, vendu en quelques sortes. A ce niveau là, je ne peux que conseiller le livre « NO LOGO » de Naomi Klein, qui décrypte de façon admirable les procédés employés pour vendre un « style de vie » et une réflexion toute faite au public attentif.

Il y a effectivement la psychologie qui permet une approche spécifique de l’homme puisqu’elle étudie les mécanismes internes à la pensée. Si elle peut apparaître de prime abord comme un modèle voire un phénomène de mode, cette dernière constitue à mon sens une science ouverte sur un des plus vastes et complexes territoires : le cerveau humain. La psychologie au-delà des règles imposées par l’éducation, la culture, la norme sociale tend à toucher à l’essence même de ce qu’est l’Individu. Aussi les éclaircissements qui apparaissent peuvent constituer un excellent moyen de comprendre nos agissements mais aussi ceux d’autrui et plus largement les processus en œuvre dans les interactions. Par ailleurs, au lieu de subir les évènements en étant esclave de ses propres émotions, cette discipline dévoile certains mécanismes permettant de mieux gérer des situations conflictuelles. Ceci dit, avant même l’apparition de la psychologie et du culte de l’individu, la philosophie s’est toujours intéressée à l’Homme dans ce qu’il a de plus singulier et universel. L’autre point commun entre la philosophie et la psychologie concerne leur raisonnement réflexif. Ces deux domaines prendre conscience d’eux –même simultanément à leur réflexion ou objet d’étude. Pour conclure, je ne pense pas que le point de vue égocentré en tant qu’introspection soit lié à un quelconque phénomène culturel. Contrairement à l’apologie de l’apparence, il recèle les grandes questions identitaires qui animent l’homme depuis des siècles.

Disons que les 2 sont reliés, notre mode de vie engendre une perte des valeurs, une ambition grandissante (à l’instar du culte de la célébrité de plus en plus présente dans la jeunesse, certains en arrivant à croire que la seule reconnaissance que l’on peut avoir passe par une médiatisation en vue de la célébrité) et un amoindrissement des rapports humains. C’est presque logique, si le gage de notre réussite ne passe que par soi-même, le rôle dévolu aux autres ne peut que s’amoindrir ou s’effectuer d’un point de vue intéressé voire superficiel, un peu comme un « moyen de » et non plus comme une finalité en soi.

Je suis d’accord avec toi mais hormis l’amour désintéressé que nous portons à nos rares amis ou nos proches, la vie semble être un vaste réseau d’interdépendances ou chacun utilise et est utilisé à son tour. Ce qui me parait plus dangereux à l’heure actuelle est, en effet, cet engouement pour la célébrité. Il concerne évidemment des jeunes aveuglés par un bouquet de paillettes bientôt devenu feu de paille… Bref, sous le strass et le mensonge d’une vie facile faite d’adoration (désir de valorisation) se cache l’exploitation, la manipulation.

Oui, la question est ardue et n’appelle pas à une solution simple. Il est vrai que nombre de familles n’ont tenu que par la grâce d’un étouffant système conventionné des rapports humains, et surtout familiaux. Le libéralisme a fait sauté ce couvercle, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose, loin de là et comme tu dis l’adultère a toujours été là, de même que les prostituées par exemple (je dis ça car si je me souviens bien, le pourcentage d’hommes mariés qui y vont est tout simplement énorme).

Effectivement, je pense que l’on ne doit pas s’astreindre pour répondre à une norme sociale. Tout le problème venant justement qu’une réflexion égocentrée doit être, forcément, amoindrie quand on se met en couple, on crée une entité à 2, les desiderata personnels se doivent d’être délayés, sinon « construire quelque chose à 2 » perd son sens.

Pas forcément, il me parait au contraire essentiel de maintenir et de cultiver au sein du couple sa propre individualité. Généralement dans une entité à deux (souvent composée d’un caractère dominant) un des protagonistes est amené à se plier, se dévouer et organiser sa vie en fonction de celle de son conjoint. Si cette concession ne pèse pas au départ, il y a de forte chance pour qu’au bout d’un moment la personne en question se sente reniée dans sa propre individualité. S’ensuivent des sentiments d’amertumes préjudiciables au fonctionnement du couple. Je pense qu’il faut bien avoir intégré cette dimension avant de se mettre « en ménage » (je déteste ce terme !!). J’aurais donc tendance à percevoir la notion de couple « idéal » (sachant que ce dernier n’existe pas) comme l’association de deux personnalités distinctes qui n’attendent rien de la part de l’autre mais cultivent leurs différences et s’enrichissent l’une de l’autre de manière désintéressée. Pour résumer, la liberté réciproque me paraît très importante. Concernant la répartition des tâches ménagères (puisque on y est !), ces dernières doivent être équitables et leur répartition issue d’un consensus établit par les deux partenaires (je sens que je vais pas me faire des copains là !!)
A fortiori si l’on a un enfant. J’ai un ami, 25 ans, qui a un enfant d’une fille qui, 3 semaines après son accouchement, à littéralement pété un câble. Elle s’est complètement recentrée sur elle-même, sur ses envies, ce qu’elle voudrait faire, …

Résultat : ils sont séparés depuis, et s’ils sont allés à l’encontre d’une certaine norme sociale, ils s’étaient engagés pour eux et surtout pour l’enfant qu’ils ont eu. Oui il est pus facile de se séparer à notre époque et je préfère qu’ils se soient séparés plutôt que de vivre dans une ambiance délétère. Mais quand on place son individualité avant (je veux un enfant) et après (finalement je veux aussi faire ça et ça), alors on comprends que se mettre en couple relève plus que d’un simple assujettissement à une norme.

En effet…. Pour en revenir à cette individualité qui évolue : on rêve de fonder un petit foyer douillet avec des enfants parce que ce désir a toujours été marqué chez nous, on idéalise pour finalement se rendre compte qu’il y a de réelles contraintes et responsabilités. Tout n’apparaît pas aussi rose que dans la vision imaginaire qu’on s’était créée. Deux optiques : on réagit de manière brutale et excessive en réaction à la perte de notre idéal (peut-être le cas de la fille dont tu me parles) ou on tente d’analyser la situation avec un certain recul afin de faire au mieux la part des choses entre ses propres aspirations et la nouvelle réalité du couple (peut-être ce que fera cette même fille avec un peu plus de temps).

« Les présupposés et les schèmes intellectuels typiques d’une époque sont comme les vêtements historiques des questions éternelles ».

C’est superbe, franchement. Je vais l’apprendre, je trouve qu’elle synthétise parfaitement tout un pan de réflexion pourtant ardu.
Et elle est tellement belle……..

A Bientôt

Onde