Fleuves…



Il trempait dans le Gange ses mains de musicien.
Fleurs d’avril brisées que le courant flétri.
C’était un autre temps…
Les anciens du village accroupis sur les rives,
Les yeux vers le couchant, fumaient en devisant
D’étranges cigarettes dont les volutes épaisses
Parfumaient les pensées des hommes d’Occident.
Les bûchers rougeoyaient…
Et leurs fumées douçâtres
Rappelaient aux passant l’éclair de la vie.
C’était un autre monde…

Il trempait dans le Nil ses mains de chiffonniers
Plaies de feu dévorant que le courant apaise.
C’était un autre temps…
Les enfants du vieux Caire étendus sur le sable
Les jambes brisées dans l’ombre chantaient en s’endormant
D’éternelles comptines dont les airs lancinants
Egayaient les oreilles des femmes d’occident.
La misère suintait…
Et ses blessures saignantes
Rappelaient aux touristes l’impitoyable règle.
C’était un autre monde…

Elle trempait au Niger ses mains d’enfant martyr
Boucliers dérisoires que la lèpre ravine
C’était un autre temps…
Les femmes du Bénin attroupées sur les places
Le regard résigné écoutaient en pleurant
La chanson du griot dont la mémoire immense
Etonnait l’assurance des chercheurs d’occident.
La maladie mordait…
Et les moignons béants
Rappelaient aux curieux la souffrance d’un peuple.
C’était un autre monde…

Elle trempait dans la Seine ses mains de Colombine
Bras troués de mille point que la fièvre dévore.
C’était un autre temps…
Les passants du Pont-neuf affairés par la ville
Les paupières soudées fuyaient sur l’autre rive
La plainte du mal-être dont le murmure discret
Ebranlait l’amnésie des parents d’Occident
Le poison s’infiltrait…
E les veines durcies et la peur du manque
Rappelaient aux aveugles l’horrible indifférence
C’était un autre monde…