Nature de la philosophie: la vocation zététique du philosophe
En relisant quelques posts du forum, j'ai constaté que la plupart des gens (dont moi, humble étudiant profane) répondaient aux questions du genre "qu'est-ce que la philosophie?", ou "à quoi sert la philosophie?", etc., par le pratique et le pragmatique. Ici l'on dit qu'il s'agit d'une discipline, là on dit qu'elle est un militantisme pour la défense de l'humanité, là encore l'on soutient qu'elle n'est pas un but en soi, et que le philosophe est un militant de la liberté, ou de la sagesse, ou je ne sais quoi encore. Je ne dis pas que ce sont des absurdités, quand bien même je trouve certains points de vue complètement infondés et niais. Mais j'ai lu récemment un livre de François De Gandt (Husserl et Galilée, sur la crise des sciences européennes,Vrin, 2004) qui m'a ouvert une nouvelle perspective que j'hésitais à évoquer à cause de sa tendance sceptique.
Dans son analyse de la Krisis de Husserl, F. de Gandt estime que "quelques hommes ont fait le choix de la connaissance, d'une vie réglée par la connaissance. Il fallait pour cela une attitude rare et paradoxale: l'étonnement, l'intérêt pour la réalité sans aucun but pratique et immédiat, la vacance des soucis de la survie quotidienne. Cette position nouvelle du spectateur désintéressé, les premiers philosophes l'ont nommée bios theoretikos. On peut penser à l'apologue attribué à Pythagore, qui propose "trois vies": parmi ceux qui assistent aux jeux […] il y a ceux qui viennent pour concourir et remporter les prix, ceux qui viennent pour commercer et s'enrichir, ceux enfin qui viennent simplement pour regarder. Le philosophe fait partie des derniers, il a rejeté la gloire et la richesse au profit de la theoria." (op. cit. p39)
L'analogie avec les jeux n'est pas parfaite: le spectateur des jeux vient pour se divertir, pour se défouler; le philosophe, lui, est désintéressé. Mais l'idée est là, selon laquelle la philosophie, le bios theoretikos, est une attitude et un but en soi.
Si l'on y réfléchit quelques minutes, l'idée germe et devient claire. La philosophie est cette attitude selon laquelle on questionne la légitimité et le fondement des idées reçues, des présupposés, des dogmatismes, des lois énoncées, qu'elles soient juridiques, épistémologiques, ou même esthétiques. Le bios theoretikos refuse de voir un système s'appliquer sans fondements, et pousse le vice jusqu'à questionner les fondements de ceux qui en ont. Là est peut-être la réelle nature de la philosophie. La recherche pour la recherche, la suspension de jugement et l'indécision, parce que si l'on s'arrête de chercher, c'est soit que l'on a trouvé ses propres idées, ce qui conduit directement vers le dogmatisme, soit que l'on a renoncé à chercher, et l'on retombe alors dans l'attitude naturelle qui nous définit comme animaux.
L'attitude philosophique est peut-être bien zététique et pyrrhonienne avant d'être une discipline, une épistémologie, une recherche de la sagesse et du bien, un militantisme, une cure thérapeutique, un séjour au Club Med, une secte. Le but de la philosophie serait alors, comme Montaigne le préconise (et c'est pourquoi l'ensemble de son œuvre s'intitule Essais), de travailler, d'essayer son jugement, sans jamais s'arrêter, car c'est là que réside le combat contre le dogmatisme et l'ignorance. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, amis philagoranautes, sous vos yeux ébahis, la philosophie est peut-être une démarche zététique.
Amour de la sagesse, d'accord, mais un amour zététique!
D'accord, à la condition que tu définisses la sagesse par la connaissance de la vérité. Encore faut-il pouvoir identifier un critère absolu et indiscutable de vérité. Or, comment avoir la profonde certitude, presque transcendante, que je détiens ce critère de vérité absolu, que tous mes actes accomplis en fonction de cet acte seront sages?
C'est notamment à cause de ce genre de questionnement que j'hésitais à caractériser la philosphie de zététique. C'est finalement assez sceptique, comme position. Mais bon, imaginons que finalement la véritable attitude sage est de ne jamais s'arrêter de chercher, parce qu'il y a toujours une possibilité que le fait de s'arrêter sur un prétendu critère absolu de vérité relève du dogmatisme le plus complet. Et si, au contraire, la sagesse dont le philosophe est amoureux était comprise comme la sagesse de celui qui refuse à la fois le dogmatisme et le renoncement? Dans ce cas, la philosophie serait une fin en soi, l'attitude du questionnement pour questionner, parce que s'arrêter de questionner, c'est soit renoncer, soit être dogmatique. L'attitude zététique pour l'attitude zététique, parce qu'il n'y a peut-être pas d'autre alternative au renoncement et au dogmatisme.
Voilà comment je définirais la philosophie. Une attitude de questionnement, qui, si elle aboutit sur quelque chose, un système, ou des lois, donne lieu à un dogme, ou une discipline scientifique, ou une secte, qui n'est plus en soi de la philosophie, mais son penchant dogmatique.
Le philosophe qui pense avoir trouvé (eurêka!) n'est peut-être plus un philosophe, jusqu'à ce qu'il décide de remettre en question les fondements des vérités qu'il pensait avoir atteintes. Parce que finalement, on peut toujours remettre en question une vérité annoncée comme telle.
La philosophie est un amour de la sagesse, j'en conviens, ethymologie oblige, mais tout dépend de la façon dont on définit la sagesse. Et si la sagesse était cette attitude zététique que tant de dogmatistes s'emploient à critiquer?
Baillon jaune et baillon vert
Qu'entendez vous par Vérité?
La philo comme quête et proposition de vérité a un sens si l'on définit la vérité comme vérité formelle.
La philo comme système langagier rationnel et structuré peut être pertinente dans son approche épistémologique.
De là à considérer qu'elle est apte à formaliser la totalité du réel, il n'y a qu'un pas que seuls des viennois positivistes peuvent franchir. Un tel acte trahit plus une constitution d'Espresso que d'une orgie de Chantilly.. C'est un peu court et pas très romantique..
En ce sens, évoquer la poésie du dasein pour restaurer la dimension de L'Être laissée au vestiaire de la conscience historique n'est pas sans absurdité.
Mais attention à ne pas sombrer dans l'implosion du langage formel, dans un babil zoroastrien qui nous ramènerai aux souches de l'Être en Doloraine.
L'achèvement de la philo dans la Métaphysique ne doit pas masquer l'épuisement du chercheur.
Et entre une fourmi scientiste harassée d'emplir un tonneau percé et une cigale bouddhiste qui fait des claquettes en survet jaune, ne peut-on pas faire un autre choix?
A l'ombre de Parménide, mais cela va sans sans dire, pas n'importe lequel je le trie
Pour revenir à la philo comme amour de la sagesse, on ne peut pas joindre les deux.
Philo et sagesse sont antithétiques.
La philo étant un ensemble de propositions structurées dans un système langagier rationnel, elle ne peut que parler de l'Être, réduit à sa polarité parménidienne.
Ne parler QUE de ce qui EST. Là commence la philo telle que nous la connaissons en Occident en même temps que commencent ses limites.
L'approche zététique demeure dès lors l'antichambre mortuaire de la philosophie. Avant elle s'étend des parcelles fécondes que l'esprit maîtrise.
Après elle se déploie des horizons désertiques ou rien ne peut pousser hormi une poésie funèbre célébrant l'echec de la philo.
Là ou le Logos se perd dans les immensités mystiques (le mystère de ce que la philo n'a pas pu comprendre en son système binaire Etre/Non Etre), frétille un discours alternatif, baroque, qui n'entre pas dans le cadre ionien de la philosophie.
Et Parménide de bluffer toute la caste de rejetons positivistes qui ont régner sur la terre intellectuelle greco-européenne.
Héraclite fut le premier et le dernier en Occident (peut etre avec Nietzsche qui n'a pu cependant comprendre la portée de ce qu'il avait mis à jour) à avoir vu les interlignes.
Lui était sage quand Parménide était rhéteur. Et la philo est devenue activité des bavards.
Quoi de plus naturel que le plus bruyant s'impose? La sagesse n'a donc pas pu fleurir sur ces terres ingrates et l'occident ne l'a jamais croisée en dehors des récits hétéropiques des missionaires du Soleil Levant.
Hegel balançant les entretiens de Confucius au feu car n'y trouvant rien de "consistant".
Et comment lui en tenir rigueur? Comment une discipline qui ne traite que de l'Être pourrait se retourner sur elle-même pour apercevoir l'Être qui la décoit et qu'elle a elle-même disqualifié?