De l'opérationnalité ou "Les animaux malades de la peste"...
Jeunes diplômés-recruteurs : ça diverge
L'enquête de l'Apec sur les jeunes diplômés fait ressortir des décalages de perception entre employeurs et candidats. Des décalages qui retardent l'insertion professionnelle. (13/10/2004)
L'Apec, l'Association pour l'emploi des cadres, a communiqué les résultats de sa dernière enquête concernant l'insertion des jeunes diplômés sur le marché du travail moins d'un an après l'obtention de leur diplôme. Effectuée auprès de 2.000 diplômés sortis de l'enseignement supérieur en 2003, cette enquête montre notamment que seul un jeune sur deux est en poste à l'issue de la période. Mais elle fait surtout ressortir les décalages entre les perceptions des jeunes diplômés et celles des entreprises, décalages pouvant expliquer certaines difficultés d'insertion professionnelle.
Eléments pour attirer et fidéliser les jeunes diplômés selon les entreprises
(source : APEC)
L'ambiance de travail
91 %
L'autonomie accordée
91 %
L'intérêt des missions
89 %
Le fait que ce soit un CDI
81 %
Le salaire
80 %
Les perspectives d'évolution dans l'entreprise
80 %
Le croisement des réponses des jeunes diplômés et des entreprises met en lumière l'inadaptation du discours des recruteurs face aux attentes des jeunes chercheurs d'emploi. L'intérêt des missions proposées par l'employeur est notamment sous-évalué par les recruteurs, alors que ce critère arrive en première position chez les jeunes. Il en va de même pour les perspectives d'évolution dans l'entreprise, citées en sixième position par les recruteurs, et en troisième position par les jeunes diplômés.
A l'opposé, le secteur d'activité et la notoriété de l'entreprise sont surestimés par les recruteurs au moment de l'embauche (important pour 75 % et 77 % d'entre eux, contre 66 % et 40 % des étudiants), alors que l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, par exemple, est sous-estimé.
Eléments pour accepter un emploi selon les jeunes diplômés (source : APEC)
L'intérêt des missions
96 %
L'ambiance de travail
95 %
Les perspectives d'évolution dans l'entreprise
92 %
L'autonomie accordée
91 %
L'équilibre entre vie privée et vie professionnelle
91 %
Le salaire
84 %
Ces décalages se retrouvent également dans les éléments déterminants pour le recrutement. Par exemple, c'est la motivation qui est citée par 17 % des employeurs comme le critère d'embauche le plus important ; mais de leur côté, 20 % des jeunes diplômés pensent que c'est le diplôme qui est l'élément le plus déterminant du recrutement. Or, ce point n'arrive qu'en sixième position pour les recruteurs, qui privilégient en second lieu les expériences professionnelles dans la même fonction et la connaissance du secteur d'activité.
Eléments pour lesquels les entreprises sont les plus satisfaites
concernant le recrutement de jeunes diplômés (source : APEC)
Leur investissement dans le travail
53 %
Leur autonomie
48 %
Leur attitude et leur comportement
39 %
Leur opérationnalité
35 %
Au final, l'enquête de l'Apec montre que les jeunes diplômés ont tendance à minimiser l'importance de leur "opérationnalité" lors de l'embauche, et à ne pas suffisamment mettre l'accent sur leur motivation. L'opérationnalité est bien le point faible des jeunes diplômés, puisque c'est le premier critère de non-satisfaction des entreprises concernant leur jeune personnel.
En revanche, si les jeunes diplômés estiment que la motivation n'est pas primordiale lors du recrutement, ils la mettent en œuvre une fois qu'ils ont intégré l'entreprise. L'investissement dans le travail est en effet le principal élément de satisfaction cité par les recruteurs vis-à-vis des jeunes diplômés.
Source : [ http://management.journaldunet.com/0...1054apec.shtml ]
« Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés ».
« Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés ».
C’est le titre d’un film documentaire, réalisé par Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau, sorti cette semaine.
Ce film s’inspire d’un ouvrage paru en 1998 aux éditions du Seuil qui s’intitule « Souffrance en France. La Banalisation de l’injustice sociale » dont l’auteur Christophe Dejours est psychiatre, psychanalyste et professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, où il dirige le Laboratoire de Psychologie du Travail et de l'Action (LPTA).
Cette ouvrage « fondateur » comme le notent les Réalisateurs du film, « parle de la souffrance subjective de ceux qui travaillent et de la banalisation du mal dans le système néolibéral ».
Ce film, qui fait suite à cette lecture, est un moyen pour les Réalisateurs de lever un voile, je les cite :
- « Nous avons eu besoin de faire quelque chose de notre côté, à notre façon, de poser un geste cinématographique. Pas en réponse mais plutôt en continuité : dessiller les esprits, participer à la réflexion, nourrir le débat public. Ce débat qui est quasi inexistant dans l'espace public ».
« Banalisation du mal dans le système néolibéral ». Qu’est-ce à dire ?
Voici là encore leur constat :
- « Une des idées fortes, pour nous, c'est que la peur et la menace au licenciement sont devenus des outils de management (...) On exige de ceux qui travaillent des performances toujours supérieures en matière de productivité, de disponibilité, de discipline et de don de soi (...) La peur s'est inscrite dans les rapports de travail. Elle engendre des conduites d'obéissance, de soumission et d'individualisme.
[Dejours] explique que dans ce nouveau système de management basé sur la peur, la tolérance à l'injustice, la souffrance personnelle et la souffrance infligée à autrui sont devenues des situations ordinaires (...) Mais les laissés-pour- compte sont de plus en plus nombreux, et on les retrouve dans les quelques rares consultations qui ne suivent plus la demande... ».
Ici donc, l’opérationnalité, citée dans le précédent « post », chère aux recruteurs, et faisant cruellement défaut aux jeunes diplômés, a muté et s’appelle « l’employabilité » [ou la capacité d’un salarié à conserver ou obtenir un emploi, dans sa fonction ou dans une autre fonction, à son niveau hiérarchique ou à un autre niveau], cependant, toujours au même titre, celui de la négation de l’individu et plus que jamais au service du produit du capital.
(…)
"Sauf le respect que je vous dois"
Restons dans le monde du travail, le monde tout court en quelque sorte.
C’est bien de respect et de dignité dont il s’agit, de quelque chose qui n’existe malheureusement plus, dans ce monde.
Mais il n’y a pas que cela, il y a, en réponse, quelque chose de plus insidieux, et je laisse là volontiers la place au propos de la réalisatrice, Fabienne Godet, dont le film « Sauf le respect que je vous dois » sortira prochainement :
- « Comment faisons-nous pour accepter l'inacceptable, encore et encore, y compris sur des petites choses de la vie quotidienne ? De quels arrangements sommes-nous capables pour tolérer ce que nous jugeons moralement intolérable ? Qu'est-ce qui fait qu'à un moment, un individu se soumet librement à quelqu'un qu'il ne respecte même pas ? »
Ce film, là aussi, s’inspire du vécu, en l’occurrence, celui de la cinéaste. Son vécu, c’est sa propre expérience professionnelle dans un hôpital :
- « Je travaillais sur l'accompagnement des mourants, et juste un an avant que je décide de quitter la boîte qui m'employait, notre directrice a été licenciée et remplacée par ce qu'on appelle "un nettoyeur" : il est arrivé en octobre, et en décembre, il y avait déjà deux personnes licenciées, puis très rapidement, ça a été tout le personnel permanent qui a été écarté. Fautes lourdes, dépressions, licenciements abusifs... En mettant la pression, leur objectif était de nous virer à coût zéro. Peu de temps après, j'ai commencé à travailler sur ce projet de film avec mon co-scénariste Franck Vassal, philosophe de formation, qui avait vécu la même chose que moi puisqu'il était le deuxième sur la liste des licenciements ».
« L’objectif était de nous virer à coût zéro » !
Voilà les vraies valeurs dans lesquelles nous nous exécutons, dans lesquelles on nous exécute.
Ce film, en filigrane, pose également la question de la rebellion :
« et si la normalité était du côté de celui qui se rebelle ? »
Citons Montesquieu :
« La liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir et à n'être point contraint à faire ce que l'on ne doit pas vouloir. »
Il nous faut donc, pour arrêter ce despotisme ambiant, trouver des solutions, trouver des alternatives, des contre-pouvoirs, un autre « pouvoir qui arrête le pouvoir ».
Ne l’oublions pas, toujours selon le mot de Montesquieu :
« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ».
Il nous faut donc trouver une alternative à toute forme d’abus, y compris et surtout quand celui-ci est issu du pouvoir et qu’il s’exerce en toute impunité.
Il nous faut retrouver un esprit de cohésion sociale et faire en sorte que ce totalitarisme de la monnaie (et de son profit) n’exerce plus en toute légitimité, au détriment de l’individu, de sa vie psychique, de son équilibre, de sa santé mentale, son « travail de fossoyeur ».
(…)
Une comédie à prendre très au sérieux !
Une démonstration cinématographique de plus, à propos du pouvoir, de l’abus de pouvoir en l’occurrence.
Et cette fois-ci c’est le Réalisateur Claude Chabrol qui s’y colle.
Son film au titre évocateur « L’ivresse du pouvoir » a pour point de mire l’affaire Elf.
Claude Chabrol donne cependant quelques précisions à propos des liens de son film avec l’affaire Elf:
- « On s'est (...) arrangé pour ne nommer aucune personne réellement existante : il s'agit donc d'un univers entièrement fictif ! Pour autant (...) le film laisse entendre qu'il existe quand même, parmi ceux qui ont le pouvoir, certains qu'on pourrait qualifier de racailles et qu'on pourrait nettoyer au Kärcher (...)
En fin de compte, ce qui m'intéressait était de prouver la vraisemblance des événements qu'on relate par une réalité proche. »
D’ailleurs le film s'ouvre par cet avertissement : “Toute ressemblance avec des faits réels et des personnages connus serait, comme on dit, fortuite... ”
Que nous enseigne Claude Chabrol ? Quel est donc son message ?
- « Je n'ai pas cherché (...) à dénoncer des événements connus de tous, mais plutôt à montrer quelles peuvent être les répercussions sur l'esprit humain d'un pouvoir, quel qu'il soit, et jusqu'où il peut entraîner les individus (...) Ce qui m'intéressait dans la position du juge d'instruction, c'est que -en théorie- il a tout pouvoir, alors qu'en réalité il n'a que le pouvoir qu'on lui donne. Et cette réalité est vraie à tous les échelons : l'ensemble des personnages sont ivres de pouvoir, même si cela ne se voit pas d'emblée. »
Il y a là vraiment matière à méditer, je dirais quant à moi, sur les bavures du pouvoir, son manquement, sa tricherie, son but d’asservissement, mais aussi d’assouvissement, son impunité…
Pour terminer mon propos, je voudrais citer l’analyse, plus qu’avisée d’une avocate, Gilberte Deboisvieux, sur les situations d’impunités existantes.
Voici ce qu’elle dit :
- « L'impunité est un phénomène universel, mais l'homme étant un animal social et moral, l'absence de règles ou de normes que sous-entend l'existence de l'impunité entraîne des troubles graves tant sur le plan comportemental que psychique.
L'existence de l'impunité peut être la conséquence de l'absence de règles ou d'absence d'application de celles-ci. Elle résulte en général, d'un rapport de forces archaïques et élémentaires et (ou) d'une absence d'Etat. On qualifiera cette situation d'impunité de fait.
Elle peut également être le résultat de la volonté politique d'un gouvernement qui, soumis aux pressions de groupes puissants, légitimera en quelque sorte, par une loi d'amnistie (impunité de droit), les violations des droits de l'homme qu'ils auront commises. On ne pourra alors sérieusement parler d'Etat de droit mais seulement d'Etat légal, puisque l'Etat de droit suppose une application réelle et indifférenciée des règles adoptées par l'Etat légal. »
- « La perte des points de repère conduit à l'absence de distanciation avec les événements, à la déstructuration des individus. Les populations soumises à l'arbitraire le plus total ne peuvent formuler ce qui leur arrive, puisque pour ce faire, il faut prendre des distances, se placer « à l'extérieur ». Elles ne peuvent plus faire la différence entre le dehors et le dedans avec tout ce que cela entraîne de comportements archaïques de satisfaction immédiate et d'absence de Surmoi.
La répression finit par faire partie de leur moi intime, par être intériorisée comme une dimension normale de leur vie quotidienne. Ses victimes peuvent confusément se vivre comme des délinquants et la ressentir méritée.
En général, la violence arbitraire brise les structures sociales, pour ne laisser subsister qu'une relation verticale individuelle entre l'oppresseur et le réprimé. Toute notion de solidarité disparaît, puisqu'elle nécessite un discours « autre », et la création de relations horizontales.
Ainsi fait-on exister un ordre pervers où la violence fait loi. »
Tout est clair, non ?
Ce texte de Madame Deboisvieux, je l’ai sorti de son contexte (que vous pouvez retrouver sur internet), mais « toute ressemblance avec des faits réels et des personnages connus serait, comme on dit, fortuite... »
(…)